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En ce temps-là déjà, Pline le Trône était un écrivain très connu. Il passait nonobstant plusieurs heures par jour dans une espèce de salle qui avait dû être un réfectoire dans le temps, avant qu’on ne l’affuble d’étagères à bouquins et de quelques ordinateurs pour faire moderne. De jeunes électroniciens, micromécaniciens, outilleurs venaient quelquefois d’eux-mêmes dans ce lieu pour y lire le journal local ou même feuilleter un magazine, pour peu qu’il y ait une bagnole dedans, un joueur de foot ou une fille bonne. Pline s’efforçait de favoriser ces rencontres avec la culture en vendant des pains au chocolat le matin à 10H. Quand il pleuvait les gars n’hésitaient pas, autant bouffer son pain au choc dedans avec la presse. Quand il faisait beau, c’était plus dur ; beaucoup restaient dehors pour fumer une clope ou un stick ; la retape du Pline pour le club internet, le club audiovisuel et pourquoi pas les bouquins aussi c’était gentil mais bon, on n’est pas des pédés. Heureusement il pleuvait souvent. D’autres fois une classe débarquait avec un prof. Une vingtaine de mecs, plus la fille à qui on avait juré que le technique se féminisait, s’installaient lourdement autour des tables de quatre, comme pour manger ; il allait falloir faire des recherches, début d’intérêt ; sans utiliser les ordinateurs, fin d’intérêt. S’ensuivait une heure épique durant laquelle le prof et Pline engageaient toutes leurs forces pour maintenir en vie les velléités de travail, faire tomber les obstacles "mais putain y a rien dans ce bouquin !" et surtout faire en sorte d’éteindre tous les départs d’incendie ; une plaisanterie grasse, une insulte, un regard de travers pouvaient à tout moment embraser le groupe déstabilisé par le caractère plus informel du travail au "centre de documentation et d’information" ; le cadre plus lâche invitait à se lâcher ; et puis tous ces bouquins ! Et ces ordinateurs sur lesquels on ne pouvait pas jouer, tout ça tenait de la provocation. Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? En ce temps-là j’étais pompier professionnel.
Mais je ne travaillais que quelques heures par semaine. Pour le reste, soit l’essentiel, il y avait la mer. Contempler, nager, écrire, surfer. Promener le fils sur le port, respirer. Poète véliplanchiste, fonctionnaire pour le caddy. La vraie vie était dans l’art, un jour je serais dans la vraie vie, "rien ne résiste à la ligne droite", c’est Gustave qui l’a dit. Un jour je serai dans la vraie vie, c’est vrai, dans une camionnette rouge qui fait des éclairs bleus même à l’intérieur, c’est curieux ; mais pour l’instant je ne le sais pas encore, je suis doc dans un LP, à combien ? 12 000 francs ? plus ? Peu importe, en fait je suis Pline le Trône, l’écrivain très connu. J’ai un blog comme bingirl, mais sans visiteurs (pas de seins, déjà trop vieux, et cause littérature...), je tiens avec mon ami Roche une correspondance littéraire (il est mon Maxime du Camp) et lance des fragments poétiques tous azimuts dont deux échouent tronqués dans le courrier des lecteurs de Télérama, signe évident. Je suis bien le seul à y croire. Mon alter-egotte et les amis n’évoquent plus le sujet avec moi ; je suis l’amant ou l’ami qui a juste un petit problème avec Napoléon, ça me passera, on l’espère.
Jolie maison blanche, avec des volets verts, en surplomb du port. Un gros pavillon si on veut mais avec du béton dans les murs, construit sur un bon dénivelé, avec un grand sous-sol, de vastes pièces ; un pavillon de maître. Et puis de l’étage on voit la mer, fin de discussion. On y est bien depuis quatre ans, on est quatre depuis deux ans. Il y a deux garçons avec papa maman. L’aîné a mal au ventre, souvent.
© plinous (commis le samedi 8 octobre 2011 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout