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C’était journée portes ouvertes à la ferme

C’était journée portes ouvertes à la ferme. Qu’est-ce qu’on peut s’emmerder dans le pays de KO ! En plus on le sait qu’il n’y a plus de fermes ici, que des entreprises chimiques ; l’agriculture alentour c’est avant tout transformer une terre fertile en boue de Verdun et faire un max de blé avec le lin, ou ce que vous voulez d’moment qu’ça fait des choux ! Mais bon, quand vous habitez un désert culturel, pouvez pas vous payez le luxe de snober les rares occasions de montrer quelque chose aux gamins. On a donc décidé de se rendre chez deux nobliaux gaziers, un généraliste et l’autre spécialisé dans la pomme. Je compte déjà demander au second comment il s’y prend pour maintenir en vie les abeilles qui pollinisent ses arbres alors que ses voisins entrepreneurs expérimentent toute la chimie européenne sur leurs domaines et que lui-même, paraît-il, douche au zyklon et ses pommiers et sa production. C’est vrai que je pars un peu mauvais esprit…

Mais on y est. Le gentleman farmer nous explique le lin. Le lin est très vilain. Le lin, ça sollicite la terre, un truc de dingues ! Tu fais pousser du lin une année, après t’es obligé d’attendre six ans avant de recommencer. Tu ne la laisseras pas en jachères mais il faudra que tu fasses pousser des trucs moins gourmands. Enfin… en principe, parce qu’aujourd’hui, il faut bien dire que les engrais ont fait de gros progrès. Mais que l’on ne s’inquiète pas : si on ne fait pas dans le bio au pays de KO – c’est contre nature – on donne dans l’agriculture raisonnée. On se réunit en conseil de pollution, et on décide collectivement de ne gazer les champs que trois fois par an au lieu de quatre (discrètement on remettra un petit coup de produit sur les plantes, ça peut pas nuire ; on fera ça la nuit…) ; bientôt on sera intelligents. Il n’empêche, c’est beau le lin, surtout en juin ; une onde bleue glisse sur la plaine ; les petites fleurs ne peuvent dessiner chacune qu’un petit point, comme avec un crayon H ; mais l’ensemble donne cette subtile et vague impression bleue. Ravissante Normandie ravagée par le profit. Pour l’heure le gentleman est passionnant, les enfants posent des questions.

Retour à la maison pour le déjeuner. L’aîné ne veut rien avaler. Toujours ce mal de ventre qui commence à nous chauffer. L’école encore, à tous les coups. C’est une bêtise de faire sauter une classe à ses enfants. Ensuite, ils ne se trouvent en classe qu’avec des grands et c’est difficile. En même temps, à l’école des champs, c’est souvent la classe unique, plusieurs niveaux ensemble ; le gosse un peu curieux ne va pas ignorer les infos censées le concerner l’année d’après ; ce sont des éponges les mômes, t’arroses ça boit. Du coup un jour il rentre et annonce que la maîtresse a dit qu’il pourrait passer directement au CE1. Ouais, et sinon elle compte nous en parler ta maîtresse ou elle voit ça avec toi et puis c’est décidé ? Tu sais au collège ça peut être difficile d’être plus jeune que les autres. C’est loin le collège. Le collège, c’est un mot à l’horizon. Pour l’instant on devrait être fiers, nous les parents : la maîtresse a dit qu’il comprenait tout. Puisque la maîtresse l’a dit. Aujourd’hui le mal de ventre, c’est pour les parents.

Oui, on a été voir un médecin. Plusieurs en fait, parce que le gamin a déjà été mal ailleurs, à la montagne, chez ses grands-parents… Du reste il voit beaucoup les copains de Molière depuis qu’il est né car il a des soucis de gosse moderne : peau atopique, asthme. L’agroalimentaire a beaucoup fait depuis la guerre pour les petits français. L’agroalimentaire a fait la guerre aux petits français. Pour les maux de ventre, les toubibs le disent tous : « ça peut être tellement de choses vous savez. » Non, on ne sait pas, on n’a pas fait médecine. Mais c’est vrai qu’on a constaté que beaucoup de gens sont de l’avis des médecins : ça peut être très psychologique aussi le mal au bide. Aussi, parce qu’il y a les glaires qu’ils avalent, les mômes, quand ils sont malades ; on a aussi les coups de froid ; les fragilités particulières et bien sûr la croissance. Ça se tasse à l’adolescence. Bien. On va attaquer le steak frites alors. Tu ne veux même pas de frites ? Tant pis, tu mangeras mieux ce soir.

C’est l’après-midi, on visite une miellerie. On commence par les ruches puis on rejoint un bâtiment avec de grosses cuves en inox. Il y a une bonne chaleur là-dedans, et ça sent bon, un poil acre mais juste pour éveiller les sens. La dame qui nous détaille l’activité de l’endroit est très pédagogue et captive le grand, i.e. l’aîné, qui a oublié son bide… Le cadet, dans sa poussette, est parti chez Morphée ; poings fermés, mine renfrognée, il est très loin, mais là où il est il doit se battre avec quelqu’un, sans doute son frère ; trois ans d’écart entre les deux frangins (2 et 5 ans), c’est important mais ça n’empêche pas la communication qui vire assez souvent à la baston. On achète du miel. Pour peu je serais moins remonté contre l’entrepreunariat champêtre. Maison, goûter. « Tu es sûr que tu ne veux rien manger ? » demande maman au grand. Rien, soit.

Ensuite nous vaquons à nos occupations. Le petit est aux kapla, maman repasse et je bouine sur l’ordi. C’est cliché mais c’est ainsi, ce jour-là. Parce que je repasse moi madame, absolument. Je repasse, je fais la vaisselle, je nettoie les chiottes, je torche les culs, je fais tout, en homme moderne – mais à hauteur d’environ 35%, à la louche ; je travaille plus aussi – et puis merde à toi féministe, si tu crois que je vais me justifier ! Va discuter avec ton sextoy, tiens, paraît qu’il a de la conversation, bzzz-bzzzz, ça va chercher loin. Bon, OK, je vais essayer de limiter les interventions narratoriales dans le récit, il paraît que ça se fait plus du tout, depuis Balzac, ça fait un bail ! Mais je ne sais pas si je vais y arriver parce que tout ce que je raconte là, c’était il y a longtemps ; le grand il est vraiment grand maintenant, l’âge où on n’est pas sérieux d’après Rimbaud. Et le petit, qui attaque le lycée ou l’inverse, il a un commentaire de texte à faire sur Rabelais, pour lundi (on est samedi – eh oui, comme dans le récit, stop ! je suis en train de vous perdre, désolé). Pour ce que rire est le propre de l’homme, c’est ça ; je fais diversion, je divertis, parce que pour ce qui suit, c’est pas trop folichon.

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