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5. Le contrat

Avant d’arriver à l’hôpital, il me semble important à ce stade, et quoique l’idéal d’un point de vue éthique eût été de commencer par-là, de préciser les termes du contrat, lecteur, qui vont nous lier si tu continues à suivre ce récit. En effet, malgré une ou deux incises laissant deviner le degré de liberté que le narrateur paraissait vouloir s’accorder, tu as pu penser que « l’histoire » dont il serait question ici tournerait autour d’un enfant touché par le cancer. Que nenni mon ami, que nenni. Je serai l’objet de ces lignes, comme je le suis depuis la première phrase de la première page. Certes, l’événement jusqu’ici le plus marquant de ma vie constituera bien un fil directeur, mais comme un fil de trame sur lequel je viendrai enchaîner les motifs de mon âme tels que la mémoire me les a conservés. Je ne narre pas la maladie de mon fils, je me dépeins au travers d’un épisode cristallisant.

Ceci est donc un livre de bonne foi, ou plus exactement, pour l’heure, neuf pages de bonne foi. Car, et cela pour info, j’écris absolument sans plan, au fil de la plume comme ça me vient. Et dans quel but ? Dévoiler la psyché d’un homme pour faire avancer la connaissance du moi humain ? Non, il s’agit tout simplement de faire la vidange ; cela fait maintenant bien des années que je roule ma bosse ; j’ai pu atteindre le sommet de la colline ; pour dévaler sereinement la pente finale, je veux lâcher du métal lourd, tout ce que je rumine depuis des lustres, tout ce qui m’a formé, tout ce qui se concentre dans mon je, lequel aurait pu disparaître si mon fils n’avait pas vaincu le crabe géant.

Reformulons : ce récit est honnête, comme le montre ce désir de contractualiser. Son objet n’est pas l’épreuve vécue par le fils du narrateur, mais une vision impressionniste du moi de ce dernier capturée au travers du prisme de cette épreuve. Le texte produit ne sera pas flaubertien : aucun plan prédéfini – pas de pyramide à construire - et aucune souffrance dans l’écriture ; ou les phrases viennent et la page se remplit, ou elles ne viennent pas et le narrateur, qui n’est autre que l’auteur qui n’est autre que moi, sursoit, tranquille ; aucun problème d’écriture n’est insurmontable ; gueuler contre le verbe confine à la folie. La finalité poursuivie : déposer témoignage, pour passer à autre chose. Pourquoi un public, fût-il très restreint, lorsque l’utilité avouée de l’entreprise ne concernerait que l’auteur ? D’abord, parce qu’on ne peut pas exclure a priori la possibilité qu’un autre tire son miel d’un propos personnel, et ensuite parce que si ce propos doit susciter la moindre réaction, celle-ci sera toujours intéressante pour celui qui la provoque. La dialectique est la mécanique céleste ; tout apport d’autrui, même négatif, fait progresser.

Ainsi, comme disait l’autre, je suis moi-même la matière de ce livre, numérique et en devenir asteure. Qu’il soit raisonnable ou non que tu y consacres du temps, je laisse cela à ton jugement, mais ne va pas te dire abusé d’ici 30 pages : ceci n’est pas le script d’un mélo américain ; exit larmes, violons, courage forcené, foi inébranlable, drapeau staré-strié, soleil nouveau à l’horizon… Zéro suspense : si tu as été attentif depuis le début tu sais que le moutard s’en est sorti, et pour l’émotion, un minimum de sensibilité au style t’aura permis de diagnostiquer le gène de l’ironie chez l’auteur, pathologie qui amène des ours, des singes et des tambours au moment où la maman craque et où il faudrait pleurer. Non, ceci n’est qu’un soulagement, le mien, son expression du moins.

Ah j’oubliais ! Le réel. La vérité même ! Cet oubli est intéressant en soi, qui va pertinencer l’explication. « Ce qu’il nous raconte s’est-il vraiment passé comme ça ? » Ou plus bref : « Ce qu’il nous raconte s’est-il vraiment passé ? » La deuxième question comporte un risque létal : nous faire pénétrer en philosophie, matière qui m’a valu un 4 au bac. Pour la première, la réponse est simple, c’est non. Je suis documentaliste de profession, enfin j’étais, je m’en suis tiré. Par conséquent, il est hors de question que je comble les lacunes de ma mémoire en faisant des recherches. Je l’ai déjà dit, j’écris au fil de la plume, surtout pas pour restituer un état du passé mais pour vider la trace qui en subsiste. Donc, l’ordre des événements, leur réalité à l’extrême, mais aussi le nom d’un médicament, le temps qu’il faisait à telle occasion, le dit d’un personnage (car même dans l’autobiographie qui y croit, on ne croise que des personnages ; les personnes n’existent que dans la vie vécue ; la confusion, c’est lorsqu’une femme de ménage passe l’aspirateur au milieu des plongeurs de combat) : rien n’est garanti, rien. Et tu vois bien, ce paragraphe, il faudrait l’insérer dans ceux qui précèdent, mais non : ce récit rétrospectif retrace l’anamnèse de façon synchrone ; les mots s’inscrivent comme les idées arrivent.
Enfin voilà, même dans le désordre, tout est explicité : ne prétends pas si tu poursuis être un jour remboursé.

Le reste du chantier

  1. 1. En ce temps-là déjà…
  2. 2. C’était journée portes ouvertes à la ferme
  3. 3. Pin-pon
  4. 4. Flash back (just some illusions)
  5. 6. Urgences
  6. 7. Les enfants chauves
  7. 8. Vers un verdict (1)
  8. 9. Vers un verdict (2)
  9. 10. Car la vie continue
  10. 11. Nouvelles marques
  11. 12. Apocalypse
  12. 13. Après l'effroi
  13. 14. Des autres
  14. 15. Interlude
  15. 16. Bombardement chimique