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Paradoxes drolatiques

Après l’excellent Qui a tué Roger Ackroyd ?, très enthousiaste, je me suis enquillé trois Pierre Bayard : Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ?, Demain est écrit et Le plagiat par anticipation. Un peu déçu par le premier, j’ai voulu vérifier avec le second et le troisième m’a permis de conclure définitivement : Pierre Bayard c’est intéressant - si vous aimez la littérature - et amusant, mais assez vite amusant genre on a compris.

Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ?

L’idée en gros : la littérature a beaucoup subi la grille (le grill) de lecture psychanalytique, comme en témoignent ces deux lectures de Flaubert et d’Hergé. Ne pourrait-on pas inverser la proposition et appliquer la littérature à la psychanalyse ?

Le problème évidemment c’est que la littérature n’étant en rien une théorie mais simplement un corpus de textes, on voit mal comment on pourrait appliquer une grille littéraire à cette discipline paramédicale. En fait, Bayard se décrète avec beaucoup d’humour (beaucoup tendance beaucoup) l’inventeur d’une méthode vouée à l’échec.

Son propos consiste à nous inciter à lire les textes littéraires, notamment ceux qui ont été les plus utilisés par Freud et ses disciples, en essayant de se défaire de tout schéma - psychanalytique en l’occurrence - a priori. Ce faisant, nous serions peut-être plus à même de découvrir dans ces textes d’autres façons de concevoir la psyché, lesquelles pourraient venir enrichir les sciences de l’esprit.

Par exemple, qui n’a pas ou mal lu le Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson pourrait dire que Hyde personnifie l’inconscient de Jekyll alors que Stevenson veut illustrer la division du moi en deux entités éthiquement antagonistes. Bref, la méthode Bayard n’est ni plus ni moins qu’une reformulation alambiquée du conseil de base aux étudiants en première année de fac de lettres : lisez les œuvres avant de lire les critiques.

Demain est écrit (2005) et Le plagiat par anticipation (2009).

La réduction de ces deux textes qui se suivent et se complètent à leur propos principal est apparemment simple : chaque œuvre entretient des rapports d’influence avec les œuvres qui l’ont précédée, jusque-là tout va bien, mais également avec celles qui suivent, ça se complique. Ça se complique, certes, mais pas bien longtemps, il suffit d’expliquer. Soit ce passage de Fort comme la mort de Maupassant :

Que de fois une robe de femme lui avait jeté au passage, avec le souffle évaporé d’une essence, tout un rappel d’événement effacés ! Au fond de vieux flacons de toilette, il avait retrouvé souvent aussi des parcelles de son existence [...] comme si les senteurs gardaient en elles les choses mortes embaumées, à la façon des aromates qui conservent les momies.

Lorsque nous lisons cela, au XXIème siècle, nous croyons lire du Proust et nous sommes tentés de faire de Maupassant un précurseur de l’auteur de la Recherche. On peut dire que notre intérêt pour le sentiment décrit par Maupassant est renforcé par ce que nous savons d’une certaine madeleine.

Autre exemple qui ne concerne pas vraiment deux œuvres mais plutôt une œuvre et une théorie : lorsque nous abordons Oedipe Roi de Sophocle, nous débarquons au pays DU complexe, nous ne pouvons en effet nous départir de notre connaissance (plus ou moins solide) de la théorie freudienne ; la lecture que nous faisons de l’œuvre de Sophocle en tient nécessairement compte.

Ce constat rejoint le propos de Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ? Bien. Mais une fois encore, cette idée intéressante - l’influence sur la réception d’une œuvre des créations postérieures - Pierre Bayard tient à la présenter sous forme de paradoxe amusant (...) : s’il est indéniable que la lecture d’une œuvre est enrichie et brouillée par la lecture d’œuvres postérieures, il ne faut pas se cantonner à cette influence ; les œuvres contiennent bel et bien des éléments non pas de prémonition mais de connaissance des œuvres futures.

Et là apparaît la véritable complication - perverse de mon point de vue - de Pierre Bayard. Derrière un sympathique et épais humour paradoxal, se cache une illumination. C’est soi la lecture vulgarisée de Stephen Hawking, soit la SF, soit un désordre personnel, toujours est-il que notre patient croit réellement au surf sur la flèche du temps, base des apories scénaristiques des LOST, Retour vers le futur, Terminator etc. Pour lui, l’avenir est accessible - sans doute plus aux artistes qu’au vulgum pecus (mais lui même est un artiste quoique prof et psychanalyste) - et Oscar Wilde écrit le Portrait de Dorian Gray parce qu’il va rencontrer Alfred Douglas.D’aucuns penseraient que les penchants de Wilde le prédisposaient et à écrire le Portrait et à rencontrer Douglas, mais ceux-ci n’ont pas la vision cosmologique de Pierre Bayard.

Mais suis-je bête ! Je prends au premier degré des textes qui veulent s’affranchir du ton professoral et n’hésitent pas à verser dans un humour dont j’ai déjà dit le caractère irrésistible. Bête, pas drôle et borné : ni Nostradamus, ni Élisabeth Tessier, ni Pierre Bayard. Sinon, tout cela est publié aux éditions de Minuit dans la collection Paradoxe.

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