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Le système du puceron

Sur le papier bible de mon Rabelais en Pléiade, une espèce de puceron rouge, minuscule - un point - se déplaçait linéairement. J’appliquai machinalement une pichenette à la chose, qui splasha en une fine trainée rouge sur la page ; une conversation de la veille me revint alors à l’esprit.

C’était au café, avant la pause travail. La discussion portait sur le développement personnel, la psychologie et la psychanalyse. Comme je disais à la collègue bien barrée dans tout cela qu’à mon sens le schéma freudien (ça - surmoi - moi) n’était qu’une formalisation temporaire d’une théorie dépassable et que le système de cooptation qui prévaut chez les psychanalystes français apparentait plus la discipline à une secte qu’à une science, j’eus d’abord droit à une mise en garde intéressante : la psychanalyse et l’écoute des sujets en général était aujourd’hui vigoureusement attaqué par des courants divers de thérapeutes plus soucieux d’obtenir des résultats visibles - de faire disparaître des symptômes - que d’aider une personne à vivre avec ou malgré ses problèmes.

Bien. Mais comme j’acquiesçais en ajoutant que toutefois il devait y avoir place, entre les dealers de Ritaline et les exorciseurs de surmoi, pour une psychologie thérapeutique et (re)constructive, je me vis opposé le veto au mécréant : "mais dis-donc, plinous, qu’est-ce qu’elle t’a fait la psychanalyse ? Y aurait peut-être quelque chose à creuser là..." Sourire entendu de rigueur et fin de la conversation : toute objection contre la psychanalyse est en fait une attaque préventive du surmoi qui sait que l’homme muet qui vous écoute en dessinant des Toto sur son carnet pourrait le contrecarrer et ramener à la conscience des éléments de l’inconscient. Conclusion, il est impossible de discuter avec un adepte de la secte de l’illustre autrichien.

Comme il est impossible de discuter avec un communiste : toute objection au dogme est un réflexe petit bourgeois. Idem avec un chrétien : "tu n’as pas trouvé le Christ mais ne t’inquiète pas, tes objections montrent que tu es en quête, et surtout Christ, lui, t’as trouvé". Idem avec un Bourdieusien : "tout est social, point. tes objections ne sont que le fruit du conditionnement auquel nous soumettent les héritiers..." OK. La force de toutes ces sectes : le schéma. Le monde ressemblait à un meuble en kit sans mode d’emploi, alors j’ai réclamé et on me l’a envoyé ; depuis j’ai monté mon étagère et c’est la plus haute et la plus belle des étagères !

Est-il impossible d’admettre qu’il n’y a pas de schéma ou que celui-ci n’est pas à notre portée ? Reprenons le puceron rouge du premier paragraphe. Je crois qu’il y a autant de distance entre l’intellect de cet animalcule et le texte de Rabelais sur lequel il a marché avant de mourir, qu’entre notre intelligence de terrien et le code universel. Tout ce que les religions et les système de pensée ont à offrir c’est une consolation, certainement pas une explication. Alors je ne dis pas que le christianisme - qui élève l’homme au rang de Dieu - que le socialisme, la psychanalyse, la sociologie... n’aient pas contribué à rendre la misère humaine plus supportable (moyennant quelque casse). Mais tous ces systèmes agissent au niveau social, ils nous permettent de trouver des modus vivendi temporaires et sans doute de plus en plus opérants ; ils ne donnent pas la clé du monde.

Ami sectaire, souviens-t’en : tu n’es qu’un puceron ; accepte donc sans condescendance les objections de ton collègue puceron.

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