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Charoselles retrouvé

Charles Sorel (±1600 - 1674) aurait pu devenir une grande figure de l’histoire littéraire ; on étudierait aujourd’hui ses grands romans satirico-encyclopédistes qui rendent si bien compte de toute la diversité d’un temps et qui ont tant contribué à l’évolution de celui-ci... Mais non, Charles Sorel est un quasi inconnu. Pourtant, son Histoire comique de Francion, publié pour la première fois en 1623, présageait bien de la renommée future du jeune auteur, même si cet ouvrage en rupture avec les grands succès de l’époque (L’Astrée de d’Urfé, toutes les "bergeries" de Scudery et consorts...) classaient d’emblée son auteur au rang des grossiers, une catégorie comptant après tout un illustre prédécesseur : Rabelais.

Seulement voilà, son temps n’aspirait pas à la diversité, à l’encyclopédique, au vulgaire ; le siècle né dans la fin des guerres de religion et les dernières rodomontades des grands seigneurs n’aspirait qu’à pacifier, normaliser, transfigurer. A priori, le programme n’est pas nécessairement néfaste, sauf à servir d’outil idéologique à un pouvoir royal avide d’absolutisme. Or justement, le "siècle de Louis XIV" (il ne règne qu’à partir de 1664) est bien celui de l’émergence d’un régime de monarchie absolue.

Pour la plus grande gloire du roi soleil, Richelieu va pacifier (mettre au pas toute contestation), normaliser (imposer des codes dans tous les domaines) et transfigurer (réécrire l’histoire). Mauvais temps pour les esprits forts. Théophile de Viau, chef de file des libertins, servira d’exemple en croupissant deux ans dans un cachot sans que la "République des lettres" ne s’avise de protester. Ce contexte, qui a donné des Racine et des Molière, tant d’autres aussi, a castré Sorel.

Réduis à l’impuissance, celui-ci réécrira deux fois son Francion (éditions de 1626 et 1633) en s’efforçant de polir, de décaper, de "karsheriser" son premier jet pour en extraire toute la vigueur, toute la force sauvage et rebelle. Sorel a voulu donner des gages, montrer qu’il pouvait rentrer dans le rang, mais incapable de créer dans un carcan, il n’a pu que polluer ce qui reste aujourd’hui comme son "chef-d’œuvre" - l’Histoire comique de Francion, une création bien maigre au vu du potentiel de l’artiste.

La Disparition de Sorel de Pierre Lepape est plus un essai d’histoire littéraire qu’une biographie de Charles Sorel. Celui-ci nous introduit dans une galerie de portraits des figures de son époque ; il permet également à l’auteur d’illustrer sa thèse : l’avènement d’un pouvoir central absolu imposant sa raison d’état et la normalisation de toute chose a certes donné de grands chefs-d’œuvre, mais au prix du laminage de toute création qui ne pouvait pas rentrer dans le moule.

La disparition de Sorel /Pierre Lepape. - Grasset, 2006.

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