Accueil > Choses > Nerval, notes éclatées
P. 35 : "D’une certaine façon, il inverse le régime habituel : il transfère moins aux acteurs de ses récits ses propres traits, qu’il ne cherche à adopter - ne serait-ce que pour un temps - ceux qu’il imagine être les leurs. Cette appropriation fantasmatique est un trait saillant des écrits de Neval..."
P. 99 extrait de Caprices et zigzags de Gautier, parue en 1852 : "il [1] noua son mouchoir à la vache de la voiture, passa son mufle dans cette espèce de licol [...] Ce qui m’a beaucoup surpris, c’est qu’il ne se soit pas étranglé bel et bien ; apparemment que Dieu, toujours bon, toujours paternel, veut lui épargner la peine de se pendre lui-même. [2]"
P.121 : De l’autre côté, là-bas à l’horizon, au bout du pont mouvant de soixante bateaux, savez-vous ce qu’il y a ? Il y a l’Allemagne ! [...] la vieille Allemagne, notre mère à tous !... Teutonia. [3]
P. 210 Citation du portrait de Cazotte dans Les Illuminés (Nerval œuvres complètes vol.2 La Pléiade p. 1083) : "Le voilà qui s’est laissé aller au plus terrible danger de la vie littéraire , celui de prendre au sérieux ses propres inventions".
P. 116 : "De la clinique du Docteur Blanche, Nerval signe ainsi une de ses lettres les plus délirantes : Un fou qui se croit sage, et qui le serait, si X = Gérard."
Article de Jean-Luc Steinmetz, p. 35, note 13 : "Ce nom [Aurélie] apparaît pour la première fois, et à un seul endroit, dans Le Roman tragique. L’Artiste, 10 mars 1844 : "Pauvre Aurélie ! notre compagne, notre soeur [...] Ne m’as-tu pas aimé un instant, froide Étoile [4] ?" Si le contexte est celui du Roman comique de Scarron, où domine l’actrice Mlle de l’Étoile, on ne retrouve dans ce livre aucune Aurélie. De même, il n’est pas certain que ce nom puisse être raccordé à "Rosalie", son double dans Les Élixirs du diable d’Hoffmann. Transformé, le Roman tragique sera intégré dans une longue lettre à Alexandre Dumas qui forme le début des Filles du Feu. C’était une façon de recommenter le sonnet El Desdichado (où l’on voit le Destin et l’Étoile), trop légèrement publié par Dumas auparavant, dans son journal Le Mousquetaire du 10 décembre 1853." [5]
Article de Jean-Yves Tadié, p. 155 : "Chez Nerval en effet, et notamment dans Sylvie, la mémoire est brouillée par le songe, alors que ce n’est pas le cas chez Proust. Ce qui passionne ce dernier concernant la question de la mémoire, c’est la résurrection involontaire du passé : elle échoue chez Nerval où l’on est jamais sûr du résultat - précisément parce que celui-ci est faussé par la contamination potentielle du rêve ou du fantasme, alors qu’elle fonctionne totalement dans Combray, où enfance, ville et jardins ressuscitent en sortant tout entiers de la fameuse tasse de thé."
Article de Gérard Macé p. 178 : "... je voudrais surtout signaler, parce qu’il est plus inattendu, l’article de l’historien Michel Pastoureau sur El Desdichado, à partir du Codex Manesse, qu’a peut-être connu Nerval. [...] L’article date de 1982, dans le Bulletin du bibliophile, mais je l’ai découvert l’an dernier dans le volume intitulé Une histoire symbolique du Moyen Age occidental."
P. 136 : "Est-ce à dire que Marie Pleyel, par sa séduction, rendit Gérard malade d’amour ? La littérature offre une réponse indirecte, qui fait se superposer les images féminines et montre que l’imaginaire importe davantage que le réel dans le cas de Nerval. En effet, dans Aurélia, la brune Marie Pleyel se confond avec l’autre jeune femme, blonde, qui l’a durablement hanté, Jenny Colon : Plus tard, je la rencontrai dans une ville où se trouvait la dame que j’aimais toujours sans espoir."
P. 183 : "Le 5 avril 1842, on le voit toutefois à l’église Saint-Thomas d’Aquin, au mariage d’Arsène Houssaye et Stéphanie Bourgeois, qui deviendra une amie chère. Le marié ayant égaré l’anneau, c’est à Gérard que fut confié le soin d’aller s’en procurer un autre. La première alliance fut alors retrouvée... Triste présage des infidélités à venir, signe inquiétant présenté comme tel dans Aurélia."
P. 192 : "Ainsi, au large de Cythère devenue Cérigo, l’île mythique d’Aphrodite appartenant aux anglais, se remémorant les images de l’antiquité comme les pages inoubliables du Songe de Poliphile, le narrateur témoignera de son désarroi en opposant le rêve et le réveil au large des côtes grecques où pour tout temple de l’amour, c’est un gibet qu’il aperçoit. Ce motif du chapitre L’Archipel [7] sera repris par Baudelaire dans son poème Un Voyage à Cythère ..."
P. 200 : ... j’en ai assez de courir après la poésie ; je crois qu’elle est à votre porte et peut-être dans votre lit. Moi, je suis encore l’homme qui court, mais je vais tâcher de m’arrêter et d’attendre. [8]
P. 234 : "Virgile assure une continuité temporelle entre les poèmes : le laurier du poète latin est nommé dans Myrtho, et dans Delfica, au vers 9, Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours transpose l’expression Redeunt Saturnia regna des Bucoliques dans laquelle on a lu une prophétie de l’avènement du Christ."
P. 315 : " La Main de gloire [est] l’un des petits romans les plus anciens de Gérard, puisqu’il remonte, dans sa première version à 1832. [9]"
P. 340 : "Gérard écrivant et dessinant en vertu de ses visions fait penser à un artiste singulier contemporain, qu’il n’a vraisemblablement pas connu, Théophile Bra (1797-1863) [10]."
P. 28 : "Les passerelles sensibles, qui relient le voyage de Dante à celui que fit Nerval [...] sont présentes jusqu’à la traversée du dernier cercle. Dante révèle ce qu’il y a au fond de l’Enfer, derrière le lacet de cuir, la mort, la spirale du froid. Le ciel rempli d’étoiles ! Ce sont les dernières lignes de L’Enfer de Dante, le moment où l’Enfer bascule sur son axe, et où la trajectoire se reverse et remonte au ciel."
P.105 : "...la rue de la Vieille-Lanterne débouche mystérieusement par une venelle boueuse dans la rue Saint-Martin, réunissant sur la même courbe le lieu de naissance du poète et le lieu de sa mort. Ce mouvement du retour éternel se fera aussi avec Aurélia, première et dernière incarnation de la femme mythique, libérée des chaînes du temps."
Louis Bouilhet, dans une lettre à Flaubert en date du 2 février 1861, fustigeant Arsène Houssaye, donne à la pendaison de Gérard de Nerval un mobile pécuniaire.
Il [Arsène Houssaye] rappelle aussi [12] Gérard de Nerval ! Notre excellent Gérard (pauvre bougre qui s’est pendu faute d’une pièce de 5 francs, que je lui ai entendu demander à la Revue de Paris, sans l’obtenir, et qu’il a sollicité du doux Arsène, probablement avec le même succès). [13]
pp. 129-130 : "La rose, en tant que fleur, traverse l’œuvre nervalienne : dans Octavie (dont le titre initial était Rosalie), dans Les Chimères, avec la rose trémière. Dans Sylvie, la rose est le symbole de la quête, associée à Isis, et au bouquet de fleurs mangées pour se régénérer, selon la métamorphose rapportée dans L’Âne d’or d’Apulée. Les roses magiques transforment l’être en lui-même. La recherche de l’identité, cependant, doit passer par l’union avec le complémentaire. Sylvie exprime la recherche éperdue de cette complémentarité, à travers trois figures féminines, avatars d’un même amour. Dans la culture occidentale, la rose est l’allégorie de la femme, dans l’Évangile de saint Jean comme Le roman de la Rose de Jean de Meung et Guillaume de Lorris ; elle est aussi modèle d’amour désincarné. Cette fleur est l’attribut de la vierge, rose mystique, rosa candida, dans la Divine comédie. Pour les Rose-Croix, elle est le symbole du cœur de jésus ; l’iconographie chrétienne, plus généralement, voit les pétales comme la transfiguration des gouttes de sang du Christ. La rosace des cathédrales est la rose éternelle dont doutes les âmes sont les pétales. Elle a ainsi la particularité de représenter à la fois l’éternité et l’instant : éphémère par sa floraison, elle symbolise la renaissance. Ses pétales renvoient aux sept jours de la création ou encore aux plaies du Christ sur la croix. Le rosaire, constitué à l’origine de fleurs séchées et pliées, rappelle le premier accomplissement du rite (la Vierge venait de trouver une rose éclose sur la couronne d’épines du Christ et demanda à saint Dominique de cueillir un bouquet pour honorer son fils). Dans une autre tradition mystique dont le texte nervalien témoigne, la rose (comme l’étoile à cinq branches) est toujours composée de cinq pétales (c’est le cas de l’églantine, la rose sauvage) ou d’un multiple de cinq, chiffre qui symbolise l’harmonie, la hiérogamie, le mariage du principe céleste et du principe terrestre. En Inde, la rose cosmique sert de référence à la beauté de la Mère universelle. En Grèce antique, Athéna était née dans l’île de Rhodes, l’île des roses ; des rosiers blancs lui étaient consacrées. Selon une autre légende, les roses rouges seraient issues du sang d’Aphrodite piquée par un rosier blanc. Dans l’alchimie, la rose est la fleur de la quintessence ; le traité des alchimistes est appelé rosarium philosophorum, rosier des philosophes ; dans le tarot, la rose de l’arcane XVII (l’Étoile) symbolise la lumière : la foi cessera d’être aveugle. Cette fleur dénote les croisements de différents imaginaires, en un syncrétisme fascinant."
p. 154 : Perugina, comédie en un acte, avait été créée au théâtre de la Renaissance le 15 décembre 1838. Elle a été écrite par Mélesville et mise en musique par Monpou, ami de Nerval qui avait signé la partition de Piquillo. Un seigneur italien se déguise pour plaire à perugina, une fille du peuple, alors qu’il est aimé d’une femme de la noblesse nommée Aurélia.
p. 189 : On sait que Gérard Labrunie, dans ses délires, s’attribuait une ascendance napoléonienne. Le poète est toujours le fils qui peut sauver le monde de sa défaite.
– Nerval, la quête de l’étoile (1) ;
– Nerval, la quête de l’étoile (2) ;
– Nerval, la quête de l’étoile (3) ;
– Nerval, la quête de l’étoile (4) ;
"Je n’ai jamais connu ma mère, je sais seulement qu’elle me ressemblait" (d’où "Je suis l’autre" ?). Attention, l’ "autre" de cette formule peut avoir plusieurs identité. Simone Guers lui donne celle de Walther von der Vogelweide [15]
La figure duale de l’idéal féminin pour Nerval : "Aimer une religieuse sous la forme d’une actrice !... et si c’était la même !" (Sylvie p.150 [16]). Plus loin, p.180 : "Vous attendez que je vous dise : la comédienne est la même que la religieuse" puis p.181 : "c’était Adrienne ou Sylvie, - c’étaient les deux moitiés d’un seul amour" . Cette dualité est bien sûr à rapprocher des "soupirs de la sainte et des cris de la fée" d’El Desdichado. Elle parcourt tout le recueil des Filles du Feu.
"Le soleil noir de la mélancolie, qui verse des rayons obscurs sur le front de l’ange rêveur" d’Albert Dürer in Voyage en Orient, Folio p.195.
Axes d’entrées pour El Desdichado :
- biographique (mère, Jenny Colon = étoiles mortes) ;
- occultiste (arcanes du tarot de Marseille, orphisme [17], pythagorisme...) ;
- littéraire (le Roman comique de Scarron) ;
- bibliophilique : le Codex Manesse ;
- mélancolique (Dürer, Melancholia I) ;
Toujours pour El Desdichado, penser le sonnet comme une boucle. Chez Nerval, on revoit constamment, comme dans l’année mythique, les mêmes événements : renaissance, victoire, échec, mort. Après la traversée victorieuse de l’Achéron, on a une ellipse : la perte d’Eurydice, exposée dans Aurélia : "Euridice ! Euridice ! Une seconde fois perdue !". Le fait que les Chimères se composent de douze sonnets, mais aussi le premier vers d’Artemis : "La Treizième revient... C’est encor la première", autorisent à penser chaque composante de l’œuvre nervalienne comme une entité cyclique. Du coup, l’inconsolé du premier vers d’El Desdichado peut se lire comme qualificatif du poète anéanti par la perte d’Eurydice, événement implicite qui suit la remontée victorieuse du dernier tercet.
L’œil de Dieu
Autre forme d’astre noir dépeinte ainsi dans Le Christ aux Oliviers :
En cherchant l’œil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbiteVaste, noir et sans fond ; d’où la nuit qui l’habiteRayonne sur le monde et s’épaissit toujours ;Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,Spirale, engloutissant les Mondes et les Jours !
Dans sa conférence sur les trous noirs et la forme de l’espace, Jean-Pierre Luminet cite ces vers de Nerval. Il est vrai que le rapprochement avec une image récente de trou noir est troublant.
[1] désigne ici Fritz surnom de Nerval
[2] apparemment, Dieu s’est lassé de cette bonté en 1855.
[3] 1838, impressions de voyage livrées au Messager (journal).
[4] Considérer cette remarque de Corine Bayle dans Gérard de Nerval : la marche à l’étoile p.42 : "au moment où Nerval écrit, « l’étoile » désigne la comédienne (l’anglomanie du XXe siècle en fera une « star »).
[5] Corine Bayle, ibid p.43, cite la lettre de « L’illustre Brisacier » incluse dans Le roman tragique : "Ainsi moi, le brillant comédien naguère, le prince ignoré, l’amant mystérieux, le déshérité, le banni de liesse, le beau ténébreux...", dénominations qui se retrouveront dans El Desdichado.
[6] Cette biographie a une double caractéristique étonnante : c’est un travail universitaire typique, bien roboratif donc, mais qui transpire néanmoins un véritable amour, du reste déclaré, de l’auteur pour l’obet de son étude.
[7] du Voyage en Orient
[8] Lettre à Jules Janin, 16 novembre 1843.
[9] A rapprocher/comparer des nouvelles de Maupassant La Main d’écorché (1875) et La Main (1883).
[10] auteur de L’Évangile rouge, œuvre à visée justificatrice
[11] idée que Nerval choisit la rue de la Vieille-Lanterne pour son suicide afin de placer définitivement sa vie sous le signe de l’étoile - une vieille lanterne est une figure dégradée d’une étoile qui brille depuis très longtemps voire depuis le début du monde. Le choix de cette rue, proche de son lieu de naissance confère également à la vie de Gérard un caractère cyclique, magique ou mystique donc.
[12] En rendant hommage à Henri Murger, hypocritement selon Bouilhet. Cf. Correspondance de Flaubert, ed. de la Pléiade, tome III, p.917.
[13] Ce propos de Bouilhet montre que la démence de Nerval n’apparaissait pas nécessairement, aux yeux de contemporains ayant côtoyé d’un peu près l’auteur d’Aurélia, comme la cause première de son suicide.
[14] Passionnante analyse de l’oeuvre nervalienne, à lire absolument.
[16] Les Filles du feu ; Les Chimères. - Folio 4219
[17] terme à utiliser avec prudence, cf. http://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1970_num_22_1_957.
© plinous (commis le jeudi 31 janvier 2008 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout