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Game of Thrones : ce qui résonne

Arrivé en début de saison 2 du Jeu des trônes [1], je commence à percevoir ce qui pourrait être la cause de l’incroyable succès de cette série. Parce que certes, c’est très bien fait, c’est très bien joué, le générique rejoindra celui d’Amicalement vôtre au panthéon du genre mais... ce n’est pas la révolution : on est dans une heroic fantasy classique, ambitieuse - peut-être un peu trop en ce qui concerne le nombre de personnages - et déjavou. À première vue, Game of Thrones, pourrait, aurait dû, rejoindre la cohorte des séries de seconde zone, avec les Stargate et autres Battlestar Galactica... Pourtant Game of Thrones est là, dans la cour de récré, à la machine à café, dans les soirées et dans cet article.

Alors que raconte cette série qui trouve une résonance si forte dans ces années 2010 ? Et bien il y est question d’une civilisation, moins avancée que la nôtre - Internet est encore loin - qui s’est construite en endiguant des forces primitives : un mur a été érigé pour confiner dans une zone glaciale ces white walkers qui entretiennent avec la mort un rapport non conventionnel. La grille psychanalytique s’impose tout de suite : le mur, c’est le subconscient qui sépare la conscience, du côté du jeu, et l’inconscient, dont on sent la terrible puissance engourdie par le froid mais ne demandant qu’à se réactiver, refoulé dans les neiges. La carte du monde de GoT serait donc une mind map.

Game of Thrones : le mur
Game of Thrones : le mur

On peut garder cette première grille qui suffirait à expliquer le succès universel de la série, la cartographie freudienne concernant chacun de nous. Mais GoT invite à d’autres explorations. Partons au sud - enfin là où il fait chaud parce que les données cardinales terrestres ne semblent pas pertinentes à Westeros et Essos. Dans les zones arides donc, ressurgissent d’autres phénomènes "merveilleux" : les dragons. Ces sympathiques bestioles - tant que vous pouvez les porter sur l’épaule - s’étaient éteintes quoiqu’on pût encore trouver des œufs, objets de grandes valeurs mais un peu comme des fossiles précieux, a priori dépourvus de vie. Or voilà, une princesse prédestinée, des incantations autour d’un bûcher funéraire, l’ex princesse devenue reine dans le feu, les œufs de dragon avec et hulalup barbatruc, nous obtenons une reine ignifugée entourée de trois petits dragons so cute. La lecture psychanalytique de cette scène est bien sûre possible même si elle est moins évidente, mais le doublement du motif de la résurgence - white walkers dans les solitudes glacées, dragons sous la canicule - invite à dépasser la métaphore du psychisme individuel pour aller chercher du côté de l’inconscient collectif.

L’hiver arrive, tel est le leitmotiv au nord ; ailleurs, le passage d’une comète rouge suscite interprétations et prédictions. Un personnage permet à la narration d’opérer la jonction entre les deux phénomènes : Osha, sauvageonne capturée au-delà du mur - dans le grand nord donc - indique en apercevant la comète que celle-ci annonce les dragons... À ce stade, on ne peut que s’étonner qu’un personnage du froid connaisse la signification d’un phénomène ressortissant au feu... L’idée est qu’on est dans une conscience sourde et universelle de la proximité d’événements cataclysmiques d’une nature identique à ceux dont la tradition a préservé la mémoire.

Quand les cyclones vont-ils commencer à saccager les continents ? Quand les tsunamis vont-ils se suivre à la queue-leu-leu ? Quand le déluge va-t-il s’abattre sur nous ? Les Mésopotamiens, les Incas, les Aborigènes... ont gardé trace de cette terreur ancestrale. Mais celle-ci n’est-elle pas aujourd’hui en passe de quitter l’espace du mythe pour investir bien concrètement notre espace physique ? L’hiver arrive... Et si cet hiver ne vient pas à bout de l’humanité, les machines pourraient bien y parvenir, pas comme dans Terminator, non, comme dans pour de vrai. L’émergence de l’Intelligence artificielle, issue de Google ou d’une expérimentation chinoise, est histoire de quelques décennies, de quelques années tant tout s’accélère. Serons-nous crédibles aux yeux du dragon de fer et d’électricité dont nous préparons la naissance avec tant de sollicitude ?

Game of Thrones : Daenerys et un dragon bébé
Game of Thrones : Daenerys et un dragon bébé

Bien sûr, trouver des peurs avec lesquelles le merveilleux entre en résonance n’est pas très compliqué ni très nouveau. Terreurs d’enfants, effrois millénaristes ont trouvé depuis longtemps un exutoire dans le merveilleux, le fantastique, plus récemment la SF ou l’heroic fantasy. Mais ce qui fait à mon sens - avec bien sûr l’habileté de la réalisation - le colossal succès de Game of Thrones, c’est le miroir tendu par le récit : nous voyons des hommes et des femmes confrontés aux signes de la proximité voire de l’imminence de bouleversements ontologiques qui affecteront l’humanité de façon définitive. La plupart de ces humains continuent à jouer ; mais ceux qui sont affectés à la "garde de nuit", aux remparts, où ceux qui ont vu naître les dragons le savent : les choses sérieuses commencent. Ici et maintenant. Comme disait l’autre : events occur in real time. Ajoutons : dans le monde réel.

[1Le choix du titre laisse perplexe tout en rappelant la traduction française de Star Wars, "La guerre des étoiles" : comme il n’y a qu’une étoile (noire) et plusieurs guerres, il n’y a ici qu’un trône (de fer) et de multiples "jeux".

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