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Journal de guerre

(article unique interrompu par l’instance énonciatrice)

"J’entends tonner le poste de DCA installé au niveau du rond-point du Chant-des-Oiseaux. Les flashes qui accompagnent les explosions passent au travers des volets et impriment des zébrures vibrantes sur le mur de la chambre. Le ronronnement des moteurs des bombardiers annonce le terrible sifflement des bombes qui dégringolent par chapelets..."

Ce n’est pas moi qui cause, c’est l’esprit de ma grand-mère que j’ai invoqué pour me mettre dans l’ambiance du couvre-feu. Pour l’heure, en cette première nuit de soumission, c’est plutôt calme. Un peu de liberté en moins, ça ne fait pas grand bruit.

Et puis d’ici quelques nuits cette interdiction de sortir sauf pour aller faire pisser le pit-bull ne nous chaudra plus. On a déjà oublié qu’il y avait une vie sans masque. L’homme étrange aujourd’hui, c’est celui qu’on croise dans la rue sans son slip sur la truffe. S’il faut interdire aux familles de se retrouver à sept, même pour Noël, et bien oui c’est difficile... Mais quoi, on demandera au Bezos de revêtir l’habit rouge et la barbe postiche pour apporter la joie aux confinés dans ses cartons souriants.

J’entends les révoltés qui disent : "Euh oui, euh, si l’hôpital n’avait pas été saigné à blanc par l’excel libéral, on aurait pu masquer, tester, soigner et éviter la ruine, tout ça... " Bon, même le cancérologue de gauche l’a dit sur la grande chaîne gouvernementale : c’est pas parce qu’on ouvrirait maintenant plus de lits en réa qu’on aurait moins de malades". Si, c’est un savant. Et puis tout le monde a un avis, c’est le problème en démocratie. Un peu de leadership disruptif ne peut pas nuire...

*****

C’est là qu’intervient l’énonciation qui n’est pas en état de passer sous silence sa douloureuse situation. Les paragraphes ci-dessus ont été écrits hier, et je comptais ne les publier, après relecture, que cette nuit, histoire de faire coller l’énonciation et l’énoncé (première nuit sous couvre-feu). Mais entre temps, l’énonciateur, je (moi), a déjeuné ce matin devant des news télé qui rapportaient la décapitation d’un enseignant. La complainte du confiné nuiteux m’est alors apparue dérisoire, voire obscène. Du coup je n’attends pas minuit pour publier ce texte chimérique. Et oui, au fait, pourquoi je le publie ? Parce qu’il faut résister à la terreur et continuer à faire ce qu’on fait.

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