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L’homme Dort

J’ai découvert Bernard Dort complètement par hasard, dans les rayonnages d’un grand bouquiniste parisien, le titre du livre, tout de suite, m’a attiré : L’Écrivain périodique ; comme la promesse d’un plaisir narcissique, un de plus. Non, je n’avais jamais entendu parler de Bernard Dort ou lu quoique ce soit de lui avant juin 2005, je suis inculte, absolument, ou insuffisamment introduit.

Mais trêve d’introduction justement, qu’est-ce que ça dit L’Écrivain périodique ? Bien il s’agit d’une compilation de textes de Dort rangés par thèmes : Formation, Littérature, Engagement, Cinéma, Théâtre... En bon profane, j’ai commencé par le début - que d’imagination ! C’est une erreur, la partie Formation peut être vue plus tard voire même zappée, l’histoire du jeune énarque qui aurait tant voulu être un artiste mais qui en attendant doit gagner laborieusement sa pitance dans une sous-préfecture, je ne sais pas pour vous, moi ça ne m’émeut pas plus que ça.

Le bouquin devient intéressant à partir de la section Cinéma, qui démarre mal d’ailleurs. En effet, dans une lettre à son "ami" Claude Chabrol, Dort essaie de nous convaincre que Le beau Serge est un ratage, mais ce qu’on retient surtout c’est que Chabrol a pu faire des films parce qu’il a touché du pèze et que ça aide beaucoup etc. bref, l’aigritude pointe son nez, mauvais.

Mais cette impression désagréable est vite effacée par un chapitre très intéressant sur les débats artistiques, intellectuels et politiques qui traversent le cinéma français dans les années 60-70 (notamment l’opposition Cahiers du cinéma/Positif, nouvelle vague vs cinéma libérateur). Ensuite, un beau chapitre sur Marilyn finit de nous séduire, sa conclusion est un arrêt détonnant :

Alors ne cherchons plus ; suicide ou accident peu importe ; la vérité, c’est que Marilyn Monroe est morte assassinée.

Troisième section : Engagement. Ici, l’homme Dort gagne du corps. Ému par le sort des émigrés d’Afrique du Nord, Dort se bouge dans sa sous-préfecture. Plus fort, en 1960, il signe le manifeste des 121, soit la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Un bel acte de résistance. Dort ira encore plus loin en soutenant le film Octobre à Paris qui prend pour point de départ les manifestations algériennes de 1961 réprimées dans le sang par la police de Papon.

Dort n’est donc pas un critique mondain. C’est un intellectuel qui s’engage, en politique certainement, mais avant tout dans sa passion : le théâtre. Du reste, toute expression artistique est politique dans les années 70, l’évidence ne se discute pas alors. Brechtien, Dort est conséquemment persuadé que l’édification d’un état socialiste demeure capital pour notre avenir [1], le choix artistique implique le choix politique - on en vient à regretter cette époque ou tout avait un sens ! Mais Dort n’est pas pour autant dogmatique. Lorsque les certitudes brechtiennes s’estompent, Dort poursuit son œuvre et continue de découvrir et d’interroger le théâtre.

Les derniers chapitres du livre consacrés à Marivaux, Corneille, Adamov, Kantor, Lessing et Chéreau exposent, outre un point de vue très informé sur ces hommes de théâtre, un état de la réflexion, du débat, sur la chose théâtrale qui n’est certainement guère dépassé aujourd’hui - et qui reste en tout cas passionnant.

L’Écrivain périodique /Bernard Dort. - P.O.L. 2001.

[1Cf. Lettre à Georgio Strehler pp 272-280.

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