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Le veau sous Flaubert

Sa mère ? Non, pas spécialement, sa mère aussi, mais Gustave en premier, et nous tous, on va expliquer. Il sera question ici d’un livre qui s’appelle Le Veau de Flaubert, d’Alain Vaillant, où l’auteur nous décrit sa quête passionnée des mystères de la littérature dont le moindre n’est pas ce veau qui permet ni plus ni moins que d’interpréter Madame Bovary à plus haut sens, et au-delà l’œuvre flaubertienne dans sont ensemble.

Alain Vaillant est très content, il exulte, en fait il n’en peut carrément plus, eurêka ! eurêka ! Il a fait une découverte d’un niveau E=MC², la voici : on sait que Madame Bovary commence avec un très étrange Nous. Ce nous assiste à l’arrivée dans une salle d’étude d’un nouveau - en italique dans le texte (huit occurrences). Pourquoi ce nous, qui disparaît définitivement passé l’incipit, et pourquoi se focus via l’italique sur nouveau ? Parce que nouveau, c’est nous + veau.

Charles Bovary est un veau, comme le confirme le début de son patronyme (latin bovem), mais le nous qui représente ces collégiens du 19è, futurs bons bourgeois, se trouve associé à cette bovitude par inclusion dans le mot nouveau. Voilà la chose résumée un peu vigoureusement ; Vaillant prend le temps de bien étayer sa découverte, et il faut reconnaître que la démonstration est plutôt convaincante.

Sa découverte... pas tout à fait. Comme l’indique très honnêtement l’auteur, c’est Jean Ricardou qui a pour la première fois évoqué le calembour en 1972 ou 74. Mais d’une part, Vaillant avait fait sa découverte sans avoir connaissance des travaux de Ricardou, et d’autre part, ce dernier n’a été capable que de rapprocher les sonorités des signifiants :

Bovary le bœuf est jeune encore, dans la scène initiale ou, si l’on préfère, c’est un veau, ou encore un nouveau, à la casquette neuve. Ainsi se laisse entendre par quel relai phonique s’est établie la scène initiale : Bovary, jeune veau, est accueilli par un personnage collectif moins énigmatique, si l’on constate qu’avec lui advient au premier mot du livre, une très opportune syllabe : nous .

Alors que vaillant, lui, a fait le boulot jusqu’au bout ; il motive sémantiquement le calembour et dévoile ce que Flaubert fait du nous-veau : l’emblème burlesque d’une humanité globalement animalisée [1]. Bien, et au-delà de l’incipit de Madame Bovary ? Oh, il y aurait plein de choses, mais Alain Vaillant a plutôt envie de nous parler de Balzac, Hugo, Baudelaire, Mallarmé... et pas d’en faire des tartines sur le veau. On a compris de toute façon : nou-veau, what else ? C’est juste que le livre s’appelle Le veau de Flaubert, on pourrait penser que... mais non, Rabelais, Rimbaud, Apollinaire etc. C’est d’herméneutique et d’étude sérieuse de la blague que Vaillant veut nous entretenir, et ce n’est pas parce qu’on lui a commandé un truc sur Flaubert qu’il va rester bloqué dessus.

À vrai dire, il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’idées originales chez Flaubert : à s’en tenir aux éclats de voix bougons ou aux formules toujours définitives qui émaillent sa correspondance, il incarne assez bien le scepticisme critique de l’intellectuel bourgeois, sa méfiance invétérée pour toute sorte d’idéal, ce qu’on nomme parfois un "anarchisme de droite" et qui finit toujours par ressembler à un conservatisme confortable et à courte vue [2].

Soit, pas beaucoup d’idées originales mais du veau, tu nous en mets combien Alain, 50g, 1kg ?

Malgré les apparences, il n’a jamais cessé d’apparaître en filigrane de cette revue théorique [3].

Qui ? Le veau ? Flaubert ? Bon OK, on va arrêter d’ennuyer Alain, parce que son Veau de Flaubert est très bien. On y apprend plein de choses : qu’on peut lire les Misérables en utilisant la clé : un chapitre = un jour [4], que Baudelaire se cache dans Les Phares [5] et aussi, donc, qu’il y a un nou-veau hénaurme chez Flaubert. En fait, le livre aurait dû s’intituler : Le veau de Flaubert et autres blagues, c’est tout. Alain Vaillant termine son essai sur un excellent "ri de veau". Pas mieux (désolé).

[1Cf. p.60, idem pour la citation de Ricardou.

[2p.49. Dans le genre vache, Michel Brix a fait fort aussi.

[3nous dit l’auteur p.169 qui vient de se souvenir avec effroi que la commande portait quand même sur du veau et du Flaubert.

[4cf. p.72, où Vaillant explique comment il trouve 365 chapitres au roman de Hugo et que par conséquent on peut associer le 1er chapitre au 1er janvier etc.

[5au cinquième quatrain : Colères de boxeur > lères de bo > bo-de-lères. Attention, la chose se tient : là où tous les autres "phares", Rubens, De Vinci... ouvrent leur quatrain, l’obscur Puget du 5ème se trouve renvoyé au dernier vers du sien, laissant l’ouverture à ces "colères de boxeur" aussi anachroniques qu’incongrues... https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/charles_baudelaire/les_phares

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