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Sous le signe du Trône

Une boule de muscles noire, comique en sa déglingue, a surgi d’un trou sombre. La masse est excédée - on l’a piquée, on l’a battue - mais l’animal furieux, voilà ce qui est drôle, paraît ne pas savoir ce qu’il faut affronter ; c’est bien la preuve que l’art s’oppose au naturel !

Le bleu du ciel est un fond sans limite, l’ocre de l’arène, un reflet tellurien de l’orbe qui tout brûle et fait baisser les yeux. Les hommes en la place resplendissent ; ô la belle verte, ô la belle bleue ! La tribune est un décomposé ; on y voit tous les tons comme en la macédoine. Et le taureau ne comprend pas qu’il faut foncer sur le cheval !

Sans doute pour éveiller le sens du sublime en la stupide bête, les picaros sur son dos enfoncent des brochettes. Ces mousquetaires sans cape et sans épée s’enfuient très vite après qu’ils ont touché, et ils font bien ! Le monstre sort de son ire hébétée et fond. Sur la monture matelassée et aveugle qui encaisse, s’agite une marotte qui brandit un grand pic. Le pieu n’est épointé, il pénètre en la carne. C’est le premier frisson, première touche écarlate. Olé !

Comme on aime on répète ; un coup de pieu, deux brochettes ; les personnages sont bien rodés. Mais soudain, celui qu’on aurait pris pour la fille à marier s’avance majestueux. Impavide il salue. Il ajuste à sa tête un petit capuchon ; les deux protubérances ajoutent à son allure, donnent la mesure du champion.

Le belluaire ainsi casqué daigne se retourner vers la brute éperdue qui cherche...Qui cherche quoi ? Des cactus ? Enfin... Le jeune homme décoré a pris son air méchant ; l’animal déjà fou s’obnubile d’un point rouge ; il fonce... Quelle esquive ! Magnifique !!! Une pirouette ; le mouvement maîtrisé.

Le ballet continue. Toutes les figures y passent, pointes et entrechats et puis soudain tiens ! Une belle brochette. Car il en avait aussi ce frêle élégant, des brochettes.

Mais attention ! Nous parvenons à un tournant. Le bœuf couillu n’a pas bronché mais il n’a pas l’air bon. Son volume semble augmenter, on peut sentir la chauffe. Cette surdimension irradie les gradins, des mutations s’opèrent. Pasiphaes en souffrance, ayant toutes doublé leurs culottes d’éponge, les femmes dégoulinent. Les maris, les amants, rouges brandons, hurlent pour qu’on tue ce salaud qui les dompte, avec le raffinement qui sied aux dominants.

La force allégorique rassemble tout son être. Il marque un trou de son sabot - une tombe ? Qu’importe, la prêtresse de Mithra connaît bien ses classiques, il sait que Force bien dirigée toujours attaque le chiffon rouge, pas le marionnettiste. Gagné ! Et amoureux de lard, Voyez cette carnation ! Olé !

Le monstre est affaibli. On se rassérène ou l’on soupire, c’est selon. Il paraît pourtant que du point de vue de l’art, le plus beau reste à venir. Un grand torero, avec sa grande épée, doit tuer du premier coup - bien sûr le boucher est plus rapide ! Nous parlons de beauté, de sublime, Picasso... La Bête a saisi que le feu follet devant lui pouvait être féroce, les apparences trompent. S’il avait su il aurait mieux considéré les choses, la prochaine fois... Mais non, bien sûr... Il n’y a pas de prochaine fois. Peu importe, sus !

Téméraire, suicidaire fou ? Schraschshshshshssssss... Jusqu’à la garde. Oooooooh oui, ooooooolllllllé. Ce gros mâle musculeux percé et qui s’affaisse...

Quelle victoire, quel sublime ! Une chèvre chansonnière se plaignait qu’on s’amusât devant une tombe. Vraiment ! C’est bien de mort qu’il est question quand à l’acmé une civilisation pose en bouton de rose une confrontation ! Et qu’un exploit viril vient nous prouver que l’Homme, toujours épris de vie, transcende toute peur lorsque avec ses semblables et autour d’un totem, il danse et communie.

Allons frères humanistes, tous dans l’arène !

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