Deuxième visite au musée des beaux-arts d’Angers depuis sa réouverture en 2004. Qu’en ai-je retenu ? Un portrait de Leroyer de Chantepie, un parent - sans doute - de la dépressive qui fit dire des choses si définitives à Flaubert, a bêtement attiré mon attention. Mais j’ai surtout été interpellé (ça doit plus se dire ça, hein ?) par une toile de Valtat dans la palotte partie art moderne-contemporain du musée.
J’aime l’ironie qui s’exprime par le choix du cadre. Au premier plan, on a une grosse bonne femme, de profil, qui a l’air de s’emmerder ferme et qui fixe le rectangle jaune au fond, celui qui attire le regard et dans lequel on aperçoit un défilé ou une manifestation. Au milieu, dans le couloir sombre, il y a un type avachi, genre déjà mort. Bref, tout est fait pour qu’on comprenne que la vie, là où ça bouge, là où il faut être, c’est dans le rectangle jaune, au fond, dans le point de fuite. Et alors on se dit : mais bordel ! Puisque c’est ça qui est intéressant, pourquoi est-ce que Valtat n’est pas allé poser son chevalet dans la rue pour nous peindre cette joyeuse animation ? Justement, tout est là, dans ce cadrage ironique. Qui n’est pas gratuit évidemment, car derrière la vanne, il y a la question caverneuse, toujours d’actualité : nous donne-t-on à voir ce qu’il faudrait qu’on voie [1] ?
Bertrand Lavier, lui, est encore plus radical : sa Rue du Pont Louis-Philippe, si tant est qu’il se soit embêté à la peindre, est entièrement recouverte d’un barbouillage gris-blanc ; il n’en subsiste même pas un petit morceau, comme le pied de la Belle Noiseuse dans Le Chef-d’oeuvre inconnu. Comme Valtat, Lavier joue de la frustration du spectateur, mais son propos dépasse l’arbitraire du cadre pour interroger l’intérêt même de toute représentation. En clair, on nous invite à aller voir ailleurs. Ailleurs, c’est ici, dans le monde, hors du musée. Un monde que l’on réintègre en sortant par la terrasse de ce bel hôtel particulier, un peu groggy par la pénombre des salles artificieuses, décadré, mais content. L’art est joyeux.
[1] Question qui n’est pas sans rappeler l’indignation de Victor Hugo dans sa préface de Cromwell à propos des récits rapportés du théâtre classique : "De graves personnages placés, comme le chœur antique, entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que souventes fois nous sommes tentés de leur crier : " Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! "
© plinous (commis le vendredi 4 mai 2007 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout