Accueil > Choses > La légende arthurienne
La Légende arthurienne : Le Graal et la table ronde/ed. établie sous la direction de Danielle Régnier-Bohler. - Robert Laffont, coll. Bouquins. - 1989. Notes de lectures.
Arthur. Son nom pourrait provenir du latin Artorius, le nom d’un officier romain dont la présence est attestée en Angleterre vers le milieu du IIè siècle.
Guenièvre < Gwenhwyfar (nom gallois). Évolution du personnage : la Guenièvre galloise (originelle) est féerique, celle de Chrétien de Troyes est courtoise.
Merlin < Myrddin, auteur de poèmes (VIè siècle ?). Toutefois, la tradition aurait joint deux personnages : ce Myrddin et un écossais Lailoken, prophète devenu fou à la suite d’une vision, et qui se réfugie dans la forêt, revenant de temps à autres pour prophétiser.
Avalon. L’île d’Avalon, lieu mythique, est parfois identifiée avec Glastonbury dans le Somerset. c’est là que furent "inventées", en 1191, les tombes de Guenièvre et d’Arthur.
Le Graal. Il est définitivement christianisé par Robert de Boron (trouvère normand XIIè-XIIIè siècle) : c’est une relique, le plat de la dernière Cène, et le récipient dans lequel Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ. Les tenants d’une interprétation chrétienne du mythe du Graal voient dans celui-ci un ciboire ou un calice et dans le cortège cérémonial qui l’amène au roi alité, le processus liturgique d’un malade qui reçoit le saint Viatique.
L’origine du nom Graal reste mystérieuse. Un passage de la chronique d’Hélinand au début du XIIIè siècle mentionne un gradalis [...] dicitur vulgari nomine Graalz. Gradalis est un mot du latin médiéval qui signifie écuelle, plat large.
La table ronde. C’est dans le récit de Wace qu’est mentionnée pour la première fois la table ronde. L’origine, on le sait, en est le désir d’Arthur d’éviter toute querelle de préséance.
La prose. Du Merlin de Robert de Boron, seuls cinq cents vers seulement sont conservés ; en revanche est restée une version en prose. L’usage de la prose, qui ne naît qu’au début du XIIIè siècle, est un phénomène important. Grâce à cette forme nouvelle, la matière du Graal accède au rang de récit "sérieux", la prose servant jusque-là une fonction grave : la traduction ou le commentaire de textes sacrés. A partir du XIIIè siècle, chaque nouvelle version d’un récit sur le Graal est en prose.
Le Roi Pêcheur = le Roi Mehaigné. Il est impuissant, frappé d’un coup douloureux qui est malédiction pour sa terre devenue Gaste. Le roi pêcheur, mehaigné, mutilé par un coup de javelot "dans les hanches". [1] La chasse lui est interdite, son seul divertissement est de pêcher. Au-delà de ce roi invalide se profile un autre personnage dont il est le fils, celui à qui l’on sert l’hostie dans un plat mystérieux".
De Chrétien de Troyes, fin du 12ème siècle.
Au début du roman, Perceval est un valet (jeune homme) sauvage, maintenu à l’écart de toute chevalerie par sa mère. Il ne connaît rien aux moeurs des chevaliers et n’a jamais entendu parlé du roi Arthur, lequel réside à Carduel (Carlisle en Cumberland ?).
Et lui, qui ne savait son nom, le devine et répond qu’il s’appelait Perceval le Gallois. Il ne savait s’il disait vrai ou nom, mais il disait vrai bien qu’il n’en sût rien. (P. 48). Le nom de Perceval "lui vient" le lendemain de son séjour au château du Roi Pêcheur où il a vu le graal sans demander à qui on le présentait. Il apprend également à ce moment que sa mère est morte. Sa mère décédée, il connaît son nom.
A partir du chap. VIII, Gauvain et la pucelle aux petites manches, le narrateur abandonne Perceval au profit de Gauvain.
Ah ! une femme qui fait le bien et hait le mal, ce n’est plus une femme : elle en perd le nom dès l’instant qu’elle laisse le pire et choisit le mieux. Mais, toi, comme tu le mérites ce nom ! Cet homme qui est assis là, devant toi, c’est le meurtrier de ton père, et tu lui prodigues tes baisers ! Quand femme peut avoir ce qu’elle désire, peu lui chaut du reste. (P.75) Un vavasseur énervé qui surprend Gauvain en galante compagnie. dans le même passage, apparition d’Escalibor dans la main de Gauvain.
Les juifs perfides, qu’on devrait tuer comme des chiens, firent leur bonheur et notre grand malheur quand ils levèrent [le Christ] en croix. (P.80). Antisémitisme médiéval.
... et quant au riche Roi Pêcheur, il est, je crois, le fils de ce roi qui se fait servir dans le Graal. (P. 81) Un ermite à Gauvain (cet ermite se trouve être l’oncle de Gauvain) ; "je crois" renforce l’incertitude autour de la filiation du Roi Pêcheur.
Et l’ermite lui dit à l’oreille une oraison et la lui répète jusqu’à ce qu’il la sache. Bien des noms de Dieu y étaient inclus, il y avait parmi eux les plus grands, ceux que nulle bouche d’homme ne doit prononcer. (P.82). Passage sibyllin, traduction ?
Anonyme, première moitié du 13è siècle.
Les trois résidences de la cour arthurienne : Cardoel (Carlisle), Pennevoiseuse en Galles (sans doute Pensance) et Camaalot à l’entrée du royaume de Logres. (P. 121)
Voici l’histoire de la très sainte coupe qu’on nomme le Graal, dans laquelle fut recueilli le précieux sang du sauveur le jour où Il fut crucifié pour racheter les hommes. C’est Joséphé qui en a écrit le récit sous la dictée d’un ange, afin que par son témoignage soit connue la vérité sur les chevaliers et les saints hommes qui acceptèrent de souffrir peines et tourments pour glorifier la religion que Jesus-Christ a voulu instituer par Sa mort sur la croix. (Prologue p. 123). Récupération chrétienne du mythe donc, ce qui n’empêche pas ce roman d’être très imprégné d’étrange. On a l’impression de tenir une source des auteurs des Mystères de l’ouest, avec ces nains (Miguelito Loveless), ces automates qui tirent des flèches, ces châteaux extraordinaires. En plus gore toutefois, beaucoup de mutilations dans le Perlesvaus.
Le récit commence après le premier séjour de Perlesvaus au château du Graal : le Graal lui est apparu, et il n’a pas posé les questions attendues. Perlesvaus prend donc la suite du Conte du Graal de Chrétien de Troyes. Mais dans ce roman-ci, la fonction de la question est différente : c’est le silence de Perlesvaus qui est cause de la langueur du Roi Pêcheur, de la mélancolie du roi Arthur, et des malheurs qui frappent la Grande Bretagne ; chez Chrétien et ailleurs, la maladie du roi Pêcheur et la malédiction qui pèse sur son pays sont antérieures à l’arrivée de Perceval, et le fait de poser la question les en aurait délivrés. (Note 1 de la page 134).
[Son père] répondit qu’il désirait qu’il soit nommé Perlesvaus, Car le Seigneur des Marais lui avait pris la majeure partie des Vaux de Camaalot, et il voulait que son fils gardât ce fait en mémoire à travers son nom. (P. 138). Evidemment, on peut appliquer la même étymologie au nom Perceval qui est le même personnage que Perlesvaus.
Il a une chevelure d’or, un regard de lion, le nombril d’une jeune vierge... En quoi un nombril de jeune vierge est-il un signe qui distingue un bon chevalier ???
- Noble chevalier qui venez, au nom de Dieu, ne me faites aucun mal car je suis le Chevalier Couard. (P. 161). Le Chevalier Couard chevauche à l’envers pour ne pas faire face aux éventuels chevaliers de rencontre. Comme le Perceval de Chrétien, le Perlesvaus est loin d’être dépourvu d’humour.
Le perron, qui se trouve en général au bas d’une grande salle, sert de montoir aux cavaliers. (Note 1 p. 164).
Sinople, dans le vocabulaire de l’héraldique, désigne aussi bien la couleur verte que le rouge. (Note 1 p. 167). Le Robert historique précise que l’évolution s’est faite du rouge vers le vert et que l’incertitude sur la couleur désignée concerne les textes des XIIè-XIIIè siècle.
Gauvain doit rapporter l’épée avec laquelle saint Jean a été décapité pour pouvoir approcher le Graal... (P. 171).
Les tailloirs sont des sortes de plats en bois ou en métal sur lesquels on découpait la viande. (Note 1 p. 173).
Frapper dans ses mains est au Moyen Age une manière d’exprimer son chagrin et son désespoir. (Note 2 p. 179).
P.182 un roi paien fait manger à ses vassaux les restes de son fils. Ce qui est interprété au chapitre suivant "Explication des allégories" comme une image de l’eucharistie. Christianisation d’un monde païen. Dans ce chapitre d’ "explication", un personnage dévoile le sens des allégories développées par le narrateur, Joséphé ; procédé original.
P. 198 le Château des âmes est un autre nom du château du Roi Pêcheur qui lui-même se nomme (aussi) Messios.
Je suis le fils du roi Ban de Benoïc, et mon nom est Lancelot du Lac. (P.203).
Ainsi que vous le savez, Perlesvaus appartenait au lignage de Joseph d’Arimathie. (P.205).
La reine des Pucelles, qui était très belle, lui portait un amour passionné. Mais elle savait que jamais dame ni demoiselle amoureuse de lui n’obtiendrait la satisfaction des ses désirs, car il était chaste et voulait mourir chaste. (P.217).
P.218 Le nom Perceval apparaît pour la première fois à la place de Perlesvaus. Perceval = Perlesvaus.
Lohot avait quitté la cour du roi Arthur son père pour chercher l’aventure. Mais Lohot avait une étrange habitude : lorsqu’il tuait un homme, aussitôt il s’endormait sur son corps. (P.233).
P.238 Perlesvaus noie le Seigneur des Marais en le suspendant par les pieds et en plongeant sa tête dans une cuve remplie du sang de ses chevaliers. Perlesvaus, le plus saint des chevaliers de la table ronde est aussi le plus barbare.
P. 242 Le Chevalier Couard devient le Chevalier Hardi.
Les propos de la demoiselle emplissent Perlesvaus de stupeur ; il se dit que puiqu’il a été chargé de venger ces crimes, on le blâmerait vivement de ne pas le faire. Comme quoi même chez les plus braves le courage n’est pas toujours spontané.
D’après le récit véridique de Joséphé, le Château Tournoyant avait été construit par Virgile, qui y avait mis toute sa science, au moment où les philosophes étaient partis à la recherche du Paradis terrestre. (P.244).
... le roi [Arthur] fit porter la tête de son fils [Lohot] dans l’Ile d’Avalon. (P.255).
P. 256-257 Conception d’Arthur. Son père Uter Pandragon utilise la science de Merlin pour prendre auprès d’Ygerne, femme du roi Goloët, l’apparence de son mari. Arthur est donc un bâtard.
On ne doit pas s’étonner qu’ils aient accompli autant de prouesses et d’actes de bravoure, car la majorité d’entre eux étaient de bons chevaliers ; cela ne consistait pas simplement à donner des coups : ils se montraient aussi loyaux et sincères, croyaient en Dieu et en Sa tendre Mère, redoutaient le déshonneur et aimaient la gloire. (P.257). Les hommes de la génération d’Arthur, fraichement convertis, seraient moins brutaux que la génération précédente, celle d’Uter.
Le Graal apparut pendant le mystère de la messe sous cinq formes différentes que l’on ne doit pas dévoiler, car les secrets du sacrement ne doivent pas être révélés, sinon par celui à qui Dieu en accorde la grâce. (P.263).
P. 266 Histoire de Gauvain, encore un bâtard, qui faillit tout de même devenir empereur de Rome !
P. 269 Lancelot découvre sur l’Ile d’Avalon les tombeaux qui attendent les dépouilles d’Arthur et de Guenièvre. Une note précise qu’au moyen âge le mot île ne désigne pas uniquement une isle de mer mais tout endroit difficile d’accès, presqu’île ou îlot d’habitations (un des sens d’insula en latin) au milieu d’une forêt.
Pp 280-282 Conflit Lancelot-Arthur à propos de l’Écosse. Rôle néfaste de Brian des Isles.
... là, on ne croyait pas en Dieu, on ne le vénérait pas, mais les habitants adoraient de vaines images et croyaient en des dieux qui n’existaient pas. (P.289). Christianisation.
La dame se fit baptiser, et ceux qui refusèrent d’en faire autant, elle les fit anéantir. (P.294).
- J’ai vu le Graal, dit le religieux, avant le Roi Pêcheur. Joseph, qui était son oncle, y recueillit le sang qui coulait des blessures du Sauveur du monde. (P.300). D’après le prologue (p. 124), Joseph a récupéré le Graal mais n’a pas recueilli directement le sang du Christ.
P. 302 Perlesvaus se recueille sur la tombe de son père Julain le Gros.
Le récit en latin dont ce conte a été traduit en français a été trouvé dans l’Ile d’Avalon, dans une sainte abbaye qui se trouve à la limite des Marais Aventureux, à l’endroit où reposent le roi Arthur et la reine, d’après ce que disent les vénérables moines qui y vivent, et qui possèdent cette histoire, vraie du début à la fin. (P.309).
Sont réunis sous ce titre (choix éditorial) un Merlin et un Perceval en prose attribués par certains manuscrits à Robert de Boron.
Merlin a été engendré par un démon. Cependant, comme sa mère a été séduite par ruse et qu’elle s’en est remise à son confesseur dès qu’elle s’en est aperçu, l’enfant échappe à l’emprise du malin. Il hérite de son démon de père la faculté de savoir tout ce qui s’est dit ou fait dans le passé, faculté à laquelle Dieu ajoute la connaissance de l’avenir. (p 331).
En fait, les démons ont voulu engendrer un homme pour contrebalancer les pouvoir du Christ. Merlin aurait donc dû être l’antéchrist. (p. 340).
Le père adoptif d’Arthur s’appelle Auctor (Deviendra Entor plus loin, p. 380). Keu est son vrai fils. Keu est mauvais car la femme d’Auctor a dû le sevrer tôt et le confier à une nourrice, et ce pour nourrir Arthur ; or le lait de cette nourrice était mauvais. Lorsque Auctor comprend qu’Arthur peut devenir roi, puisqu’il a décroché l’épée du perron, il lui propose son aide en échange d’une promesse : Keu sera nommé Sénéchal du royaume. (pp. 347-348).
Perceval est le fils d’Alain le Gros lui-même fils du Roi Pêcheur. (p. 354).
Et lorsqu’il aura demandé ce que l’on fait du Graal, à qui on en fait le service ?. La question est double ici. (p. 360).
Cohérence narrative, vraisemblance. Dans le chapitre "La fête de la Pentecôte", L’écu de Perceval est mis en pièce par un adversaire puis à nouveau utilisable quelques paragraphes plus loin (cf.pp. 364-365). Dans le chapitre "Le Gué Périlleux et les oiseaux-fées", en revanche, on voit un chevalier qui défie Perceval offrir écu et lance à celui-ci, car "Perceval s’était en effet battu contre un chevalier qui lui avait mis en pièce son écu". Cette différence de traitement renforce l’hypothèse des scripteurs multiples.
Tant qu’il suivit cette route, il chevaucha avec beaucoup de déplaisir car il préférait de loin chevaucher dans les forêts plutôt que d’emprunter les chemins découverts. (P. 386).
Mais Chrétien de Troyes ne parle pas de cela, pas plus que les autres trouvères qui en ont fait la matière de leurs rimes délectables (p. 395). Mépris du prosateur, cf. plus haut : La prose).
Perceval quitta donc son oncle et chevaucha jusqu’à l’octave de la Pentecôte. (P. 396). Octave dans la liturgie : huitième jour après certaines fêtes.
Sagremor le desrée (p. 402). "Desrée" signifie : désordonné, égaré, emporté, violent. Ce chevalier est incapable de garder la juste mesure. dans la traduction du Livre de caradoc (p. 458), on a "Sagremor le Déréglé".
Cher enfant, sachez que vous avez devant vous la lance avec laquelle Longin frappa Jesus-Christ sur la croix. (P. 406).
Nous l’appelons Graal parce qu’il agrée à tous les hommes de bien et à tous ceux qui peuvent rester en sa présence. (P. 407). Jeu de mots repris au Roman de l’Estoire du Graal de Robert de Boron.
Merlin prit alors Blaise et l’emporta dans la demeure du riche roi Pêcheur qui était désormais Perceval. (P. 408). Perceval est devenu le roi Pêcheur à la place de Bron car il a posé la bonne question. Bron, guéri, est emmené par David et des anges dans la gloire des cieux.
Ce Mordret était l’un des frères de monseigneur Gauvain et fils du roi Lot d’Orcanie. C’était un être plein de mauvaises intentions. (P. 410).
Pp 422-429 : Alors qu’arthur est parti combattre l’empereur de Rome - peu après qu’il a terrassé Floire le roi de France - Mordret [2] le trahit, s’allie aux saxons et épouse la reine. Lorsque Arthur débarque en Bretagne (Angleterre) pour reconquérir ses terres, c’est l’hécatombe : Gauvain, Sagremor, Bedoier, Lot d’Orcanie et Mordret sont tués. Arthur lui-même est touché par une lance à la poitrine. Arthur dit à ses hommes :
- Cessez vos plaintes car je ne mourrai pas ; Je vais en effet me faire porter en Avalon pour faire soigner mes blessures par Morgain ma soeur. (P. 429).
Figure dans la première continuation du Conte du Graal, la Continuation Gauvain, rédigée au tournant des XIIè et XIIIè siècle. Auteur anonyme.
Alexandre d’Alier = Alexandre le grand (p.454), pourquoi ?
Le narrateur de ce Livre de Caradoc se veut capricieux et facétieux, il affecte très souvent de ne raconter que ce qui lui chante : _ Je vous ai parlé des accordailles, mais je ne saurais vous raconter le mariage, vous dire le lieu, le temps ni le jour. Du reste, je n’en ai pas envie. Je ne m’en donne pas le loisir car j’ai bien autre chose à faire. (P.471).
Pp 485-486, définition de l’amour. Vous qui aimez, voyez donc s’il y a encore des amours de cette qualité dans le monde !... Cf. aussi p. 493. Ils devraient rougir de confusion, les faux amants qui ne savent pas ce qu’est l’amour !... Ce roman n’est plus un roman d’aventures, il n’y est même pas question de quête. L’amour, la femme, la tentation (le serpent), l’adultère jouent les premiers rôles. P 505-507, toute la cour du roi Arthur est discréditée par l’épreuve du cor magique qui change l’eau en vin et dans lequel ne peuvent boire proprement que les maris ayant une épouse fidèle. Tous les chevaliers, à l’exception de Caradoc, renversent le breuvage, sans s’en formaliser plus que ça ; l’adultère est en effet quasi public dans cette cour à l’ancienne mode, ce qui n’empêche pas la jalousie d’y sévir férocement. Ainsi Guenièvre voue-t-elle une haine terrible à Guinier, l’amie de Caradoc, car celle-ci a pu dire à son mari de boire sans crainte dans le cor. Ce n’est peut-être pas tant l’adultère ou la relation hors mariage qui sont condamnés dans le Caradoc, que le manque de discrétion ressenti comme vulgaire. Et si l’amour fait toute sa joie, qu’il sache en garder le secret ! (P. 486). Cet idéal de l’amour caché est caractéristique de la fine amor et des romans courtois, cf. La Châtelaine de Vergy.
Reste la métaphore du serpent enlacé au bras de Caradoc pendant deux ans et se nourrissant de lui. C’est Eliavrés le magicien, véritable père de Caradoc, qui inflige cette torture à son fils à l’instigation de sa maîtresse, la propre mère de Caradoc, que celui-ci avait fait enfermer pour la punir de son infidélité. Guinier débarrassera Caradoc de son mal en tentant le serpent (inversion du récit biblique) : "Regarde donc mes seins, comme ils sont blancs, tendres et beaux. Regarde ma blanche poitrine, plus blanche que la fleur d’aubépine... Viens et enlace toi à moi..." (P. 495). Que représente ce mal vaincu ? Sans doute l’hypocrisie de la société non courtoise.
Anonyme, fin 12è ou début 13è.
Dans ce très court roman, Gauvain paie de sa personne pour servir la mysogynie de l’auteur. Accueilli par un chevalier perfide dans son château, Gauvain se voit offrir par ce dernier de coucher avec sa fille. Le hic, c’est que dès que Gauvain, nu dans le lit à côté de la jeune fille également nue, se prend de vouloir pousser les choses à leurs conséquences, une épée magique surgit et le blesse. Ce qui est troublant dans cet épisode, c’est que ce qui semble le plus angoisser Gauvain est qu’on puisse dire, suite à cette mésaventure, qu’il s’est trouvé étendu auprès d’une jeune fille sans qu’il en puisse rien tirer de significatif... Mais l’épreuve se termine bien puisque l’épée n’a pas tué Gauvain, ce qui le désigne comme "meilleur chevalier du monde". Le perfide seigneur lui offre alors sa fille. Quelques temps plus tard, Gauvain décide de quitter le château et d’emmener son épouse dans son pays. Sur la route, ils rencontrent un chevalier belliqueux qui veut s’emparer de la jeune fille. Ce chevalier propose à Gauvain de laisser à son amie le choix du chevalier qu’elle suivra. L’esprit tranquille Gauvain accepte. Mal lui en prend, la jeune fille choisit l’autre chevalier.
Apprenez en effet, tous tant que vous êtes, ..., qu’il n’y a pas de femme au monde qui, même si elle était l’épouse et l’amie du meilleur chevalier que l’on puisse trouver d’ici en Inde, lui porterait assez d’amour pour lui montrer un brin d’estime s’il n’était également preux à la maison. Vous voyez bien de quelle prouesse je veux parler... (P. 529).
Ce qui sous-entend que le pauvre Gauvain serait surtout habile avec une lance en bois... Gauvain tuera tout de même le chevalier pour une histoire de lévriers, son lot de consolation.
Le chien ne quittera jamais le maître qui l’a nourri pour un nouveau venu et la femme a tôt fait de changer le sien s’il ne fait pas tout ce qu’elle désire. (P. 530).
Puis gauvain retrouvera ses amis à qui il racontera "le dur combat qu’il livra pour garder ses lévriers"...
Anonyme, inachevé, première moitié du XIIIè siècle.
Ce court roman est poussif et assez incohérent. Hunbaut, par exemple, qui n’est pas le personnage principal - ce rôle revient à Gauvain - apparaît tour à tour timoré puis courageux. La traduction n’arrange probablement rien.
On fit secouer la craie d’une robe qui lui alla très bien (p. 546). Cf. note 1 : les vêtements neufs et les fourrures étaient conservés dans de la craie.
Assurément, conclut Gauvain, je sais que vous êtes plein de bravoure ; mais sachez bien que la prouesse vaut moins quand l’orgueil s’y joint. (P. 570). L’orgueil est une cible privilégiée dans ce roman. (Ici Gauvain s’adresse à Gaheriet).
Ou La Mule sans frein, court roman attribué à Païen de Maisières, fin 12è début 13è.
Païen de Maisières fait écho par antonymie à Chrétien de Troyes. La Demoiselle à la mule abonde du reste en références aux romans de l’auteur champenois (cf. note 2 p.586). P. 596, peut-être un clin d’oeil malicieux :
A la vue du vilain, Gauvain est frappé d’étonnement : il ressemble à un Maure de Mauritanie ou à l’un de ces vilains de Champagne que le soleil a tout tannés.
Glissement de mule à "muele" (meule) à laquelle est comparé le château tournoyant. (P.587).
Le château tournoyait aussi vite qu’une meule de moulin en train de moudre et qu’une toupie qu’on a coutume de mener au fouet. (P.595).
Long (très long) roman en vers, anonyme, milieu du XIIIè siècle. Le sel de ce roman parodique réside peut-être dans ses vers, toujours est-il que la lecture de la traduction en prose est particulièrement fastidieuse. Gauvain, anti-héros (il n’a plus de nom) ou héros (quand il le recouvre) inspire surtout la plus grande indifférence. A l’image de ce roman qui hésite entre plusieurs registres, pour être au final mauvais dans tous.
Votre mère [celle de Gauvain] était d’une grande sagesse, elle vous découvrit certaines choses dont elle avait la connaissance ; je n’ignore pas qu’elle était fée. (Pp.632-633).
Après la perte de son épée, Gauvain eut peur de la lutte. Qui s’en étonnera ? (P.642). Gauvain n’est pas superman. Du reste, dans le même paragraphe, il frappe la monture de son adversaire.
Page suivante, il refusera la reddition de son adversaire. Gringalet est le nom du cheval de Gauvain. (P.643)...
le palefroi (d’un éclat, dit le conte, qui surpassait en blancheur toute fleur)... (P.646). Le narrateur dans la peau d’un troubadour qui narre un récit connu.
Pour ne pas allonger mon récit, je ne veux m’étendre sur le thème de la duplicité féminine. (P.647) Leitmotiv convenu.
Court roman en vers, anonyme, début du XIIIè siècle.
L’élément intéressant dans ce bref récit courtois, c’est la mise au rencart de Gauvain au profit de Gligois, un jeune homme aussi naïf que péchu.
Je n’ai jamais entendu parler d’une femme qui vous ait refusé et qui n’ait été flattée que vous ayez daigné la posséder ! dit la reine à Gauvain au début du récit. Oui, mais tout change... Même les chevaliers d’Arthur vieillissent et Beauté, la jeune fille bien nommée, de préférer à Gauvain le fringant Gliglois venu d’Allemagne...
Récit en vers de Raoul de Houdenc écrit dans le premier quart du XIIIe siècle.
Deux temps, deux aventures, structurent le récit :
1. Méraugis part à la recherche de Gauvain ;
2. Méraugis délivre son amie Lidoine.
Ces deux quêtes sont intimement mêlées puisque Méraugis part à la recherche de Gauvain avec Lidoine et son ami Gorvain [3], oublie Lidoine en route qui se fait enlever et doit ensuite la délivrer avec l’aide de Gauvain.
Le style de Raoul, tel que le laisse paraître la traduction, est plutôt enlevé et marque une intention parodique. Voir par exemple l’utilisation systématique de la fausse question :
... tout ce qu’elle entendait s’effaçait devant ce qu’elle voyait. - S’effaçait ? Comment ? Vous voulez dire qu’elle n’entendait plus rien ? Non, sous l’effet de la peur... (p. 798)
Cette forme dialogale impose une distance par rapport aux faits relatés et met en avant la narration et donc le narrateur qui du reste apparaît plusieurs fois (cf. p. 816 : "Raoul qui raconte cette histoire" et "Raoul de Houdenc qui a entrepris ce livre... p.839 - épilogue). Raoul apparaît comme narrateur mais se décrit également en creux comme témoin de l’action :
Mais trève de discours, ils mirent la voile. Je ne raconterai pas ce que devinrent les dames, non, car je ne le peux pas. - Pourquoi ? Ma foi, je ne m’y trouvais plus, ni monseigneur Gauvain (p. 803)
Cette mise en avant du narrateur peut aller jusqu’à la transgression :
Maintenant veuillez prêter attention à ce passage d’une si courtoise inspiration. Méraugis décida de... - Que fit-il ? - Ma foi, il prit tous les habits de la dame et s’habilla exactement comme une femme : il serra les lacets de la taille et se pomponna. Aussi paré qu’une coquette il descendit les escaliers du château... (p. 802)
C’est l’intrusion de la comédie dans la matière de Bretagne ! À noter, p 825 :
Il ne lui manquait plus que la massue pour ressembler trait pour trait à un fou. La massue est-elle un attribut traditionnel de la figure du fou au moyen âge ?
Le seul roman arthurien conservé en langue d’oc. Composé dans le premier quart du XIIIè siècle. La courtoisie est un élément central du roman, notamment au travers les réflexions de Jaufré et de Brunissen de Monbrun (langue d’oc oblige, les brunes ne comptent pas pour des prunes). Mais pour courtois qu’il soit, ce roman n’en est pas moins assez sanglant, voire sadique. A l’image de la gracieuse Brunissen elle-même qui ordonne plutôt facilement que l’on tue ou torture qui perturbe ses oiseaux.
Il lui fait la figue, p.861.
Sur le pont se tenait un chevalier qui se faisait chanter par un jongleur le lai des deux amants (P.883)
P.877 et suivantes, Jaufré provoque une réaction d’agressivité folle chaque fois qu’il demande la raison des cris de désolation qu’il entend. C’est en quelque sorte un rappel inversé de l’histoire du graal dans laquelle les chevaliers pèchent en ne demandant pas l’explication de la scène qu’ils voient.
Récit en vers écrit au XIVè siècle par un auteur anonyme.
Dès la première ligne de son introduction, Jean-Charles Huchet prévient : "Le Roman de Blandin de Cornouaille et de Guillot Ardit de Miramar n’a jamais laissé un souvenir impérissable à ses lecteurs". Voilà qui engage à la lecture... Et plus loin les choses s’aggravent : "Blandin incarne le degré zéro du roman arthurien, réduit à l’épure d’une machine narrative enchaînant rapidement thèmes et motifs sans produire d’effets littéraires". Jean-Charles Huchet essaie bien de nous expliquer que "Blandin de Cornouaille est révélateur du travail qu’un clerc provençal pouvait effectuer sur la matière arthurienne au XIVè siècle, sentie comme exogène, française pour tout dire..." Quoique révèle ce Blandin, on a compris que sa lecture allait être des plus soporifiques, et de fait... Cela dit, le récit (court) est à ce point désincarné, atone malgré la succession d’aventures convenues, qu’on est tenté d’en garder le souvenir. C’est un cas d’école, une récitation sans aucune vie, Du Butor médiéval.
Il frappa son adversaire si violemment entre le camail et le bassinet qu’il lui trancha la tête. p. 943
Bassinet : casque à visière
Camail : protection faite de mailles métalliques pour le cou, les épaules et la tête.
Récit en vers écrit à la fin du XIIIè siècle par un auteur anonyme.
... on sait que les oeuvres de second choix offrent souvent beaucoup d’intérêt pour les folkloristes, les histoiriens et même les littéraires... Avertissement de Marie-Luce Chênerie (p. 960).
"Boire au masarin (p.973)" : ?
Il a vite fait de ramasser grosses bûches et menu bois et d’y mettre le feu avec son fusil (p.977), la pierre à fusil comme élément de l’équipement du chevalier errant.
... les voleurs firent un trou avec une hie (p. 1001). Hie : instrument pour enfoncer en terre des pavés ou des pilotis. Mais Lancelot empoigne le pieu - comme dit la chanson (quelle chanson ?). Ce passage ressortit à la farce, on est plus proche des fabliaus que du roman de chevalerie, il est symptomatique de la dégradation du genre.
Le chevalier s’avance et tend la main ; mais Lancelot tire son épée, et avant qu’elle ait pu se poser sur le frein, il lui coupa l’extrémité du bras, en lui criant : "Vassal, enlevez votre main..." (p. 1008) ; exemple d’humour sadique que la traduction ne rend pas mais qu’on devine.
Mélite (p. 1011, note) : L’ile de Malte, considérée comme le pays de Cocagne, terre de "miel" et de "lait".
... Mais Lancelot se prépara en tournant sa lance, le fer derrière et l’arestuel devant... (p. 1013) Arestuel : bas de la lance qu’on saisit avec les mains.
Les tapis de siglaton et de samit (p. 1018). Siglaton : étoffe précieuse, manteaux, brocarts ; plusieurs référents selon les auteurs et les époques.
Les vaillants chevaliers tissaient des étoffes de soie et de brocart... D’autres vaquaient à différentes tâches, si l’on en croie le conte ; les uns faisaient de l’orfèvreie, mais plus encore de la sellerie ; d’autres maçonnaient, charpentaient...Mais sachez que tous avaient au doigt un anneau d’or pur ; ces anneaux les tenaient ensorcelés... (pp 1025-1026). En fait de "merveilles", ce qu’on voit à Rigomer, ce sont des chevaliers qui bossent. On sent ici comme une raillerie bourgeoise...
Auves (p. 1033, note) : les deux proéminences à l’avant et à l’arrière de la selle.
Le dernier roman arthurien français en vers, composé entre 1365 et 1388 par Jean Froissart.
Meliador, Agamanor, Sagremor et Albator (non, pas le dernier) sont de preux chevaliers qui tombent amoureux de filles de rois et usent de stratagèmes, du moins pour les deux premiers, pour séduire ces dames. Le premier se déguise en marchand, le second en peintre. Ces ruses ne fonctionnent qu’à moitié, les dames exigeant tout de même quelques prouesses avant de se décider. Quant au troisième, Sagremor, il chevauche un cerf et se retrouve avec des nymphes et on n’en saura pas plus car le manuscrit est lacunaire.
À noter aussi que Camel, le chevalier qui ouvre l’histoire et se fera trucider par Meliador, est le premier somnambule connu de notre littérature. (P. 1044).
Récit en prose, fin XIVè ou début XVè.
Le papegau est un oiseau merveilleux, dévolu au meilleur chevalier du monde, qui enchante les coeurs par ses chants et ses paroles.
Le meilleur chevalier du monde, c’est Arthur, qui devient après sa rencontre avec l’oiseau le "chevalier au Papegau". Arthur ici est jeune, la Table ronde existe déjà mais nulle mention n’est faite des autres grands noms de la geste arthurienne (Gauvain, Lancelot, Guenièvre etc.). Ce récit serait donc une sorte de roman d’éducation (à la sauce matière de Bretagne). A noter que ce roman tardif pourrait témoigner d’une certaine lassitude envers la courtoisie ; en effet, Arthur n’hésite pas, après s’être plié aux volontés humiliantes d’une Dame à lui coller une rouste.
p. 1094 Morgane se dit fée de Montgibel et sœur de la Dame sans orgueil. Sa parenté avec Arthur (demi-sœur) n’est pas mentionnée.
[1] (note perso). Les guillemets suggèrent que le roi pêcheur a été frappé ailleurs que dans les hanches. Il ne peut donc plus "chasser" et ne risque plus de "pécher".
[2] Dans l’art du moyen âge finissant, un certain nombre de traîtres, de félons et de rebelles sont parfois, voir souvent, roux [...] Ainsi Mordret, le traître de la légende arthurienne : fils incestueux du roi Arthur, il trahit son père, et cette trahison provoque l’écroulement du royaume de Logres et le crépuscule de tout l’univers des chevaliers de la table Ronde. in Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental/Michel Pastoureau. - Seuil : La librairie du XXIè siècle, p. 198.
[3] La similitude des noms Gauvain/Gorvain dédouble la figure du héros traditionnel et par là même trouble son image et permet au héros Méraugis de s’affirmer.
© plinous (commis le jeudi 10 février 2005 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout