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De l’oubli des séismes

Ce n’est pas sans crainte que j’ai ouvert Sarinagara de Philippe Forest, je dois l’avouer ; peur de revivre un calvaire, peur infondée (pléonasme). Seuls les livres malhonnêtes peuvent abîmer et ceux-là tombent des mains. Il n’y a pas d’histoire à raconter.

Quelques pages sur un couple qui cherche aux antipodes la permission d’une nouvelle aube, mêlées à trois récits biographiques de grandes figures de l’art japonais. Le récit - il y en a toujours un - s’ouvre sur un rêve et se clôt sur le pourquoi d’un oubli.

Cependant... Sarinagara progresse, c’est un livre positif, à tous les sens du terme. Une énigme et une démonstration soutiennent l’œuvre. Pourquoi le Japon - d’autres demandent pourquoi le Brésil - est la question que pose le narrateur et celle-ci trouvera sa réponse, à Kôbe. Le rapprochement avec Angot n’est pas complètement gratuit :

D’une manière que je ne comprenais pas bien et que je m’avouais encore moins, je voulais juste me délivrer de ma propre histoire en lui donnant la forme encore d’un autre livre - et ensuite d’un autre encore. [1]

Où il semble définitivement acquis que la littérature, en ce début de XXIème siècle, implique une exhibition de l’auteur. Laquelle provoque inévitablement un sentiment d’impudeur dont il convient toujours de se justifier, souvent en transférant la faute sur le lecteur :

Mais je mesurais bien - ma folie n’allait pas jusqu’à l’ignorer - que si je faisais de ma propre histoire un nouveau livre, il ne se trouverait plus personne pour le lire.

Ce que dément nécessairement le lecteur, tombé dans le piège (Futé Forest).

Cependant, les histoires de Kobayashi Issa, maître du haïku, de Natsume Sôseki, romancier, et Yamahata Yosuke, photographe de guerre que rendirent célèbre ses clichés de Nagasaki, permettent, en faisant écho à l’expérience de l’auteur, de donner à l’œuvre de celui-ci une universalité plus évidente.

Mais n’allez pas croire que Forest soit allé chercher des maître japonais pour cultiver une espèce de mystère extrême-oriental (syndrome petit scarabée). Pour lui c’est clair : il n’a rien à vendre dans ce domaine. [2]

Le livre est également la démonstration intelligente d’une théorie de l’auteur. Selon Forest, la vie adulte ne sert qu’à vérifier ce que l’on a rêvé durant l’enfance. D’où la sensation universelle de "déjà vu". Cette idée n’est pas déprimante pour l’auteur, au contraire. Confronté à "l’indéfectible évidence de son rêve le plus vrai", il comprend que survivre est l’épreuve et l’énigme, et que survivre a eu lieu, puisqu’il est là pour en témoigner. En bref, Sarinagara est un hymne à la vie, malgré tout, cependant.

[1p.177. Édition Gallimard.

[2cf. pages 180-182 : Sauf exception (Barthes bien sûr et quelques autres), les livres dans lesquels un écrivain français prétend initier son lecteur aux trésors inintelligibles de l’âme japonaise, abordant avec l’infinie délicatesse d’un initié toutes sortes de fadaises folkloriques, ont à peu près autant de valeur que les récits dans lesquels un professeur anglais, s’improvisant spécialiste de l’identité française, raconte ses vacances en Provence, au pays de la pétanque et du pastis...

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