Je me suis souvent vu en Saint-Sébastien, percé des dards de Ridicule. J’étais ce gars fragile en extase dans la souffrance chaque fois que j’avais eu l’air con dans un événement social quelconque, aussi microscopique fût-il. L’icône gay flattait mon goût certain pour le tragique posé ; elle me consolait aussi : les élus reçoivent des traits.
Mais depuis quelques mois, je suis surtout le jeune Spartiate, celui qui se fait déchirer le ventre par le renardeau, dont les griffes et les dents sont acérées comme les pointes d’Éros. Le bide me lance chaque fois que l’image d’une déesse du quotidien flashe dans mon esprit, soit quasiment tout le temps, mon âme clignotant comme un néon malade. Au bord de la disjonction je suis, enfin j’étais...
C’est vrai la martyrologie m’attire, elle m’habite même. Toutefois, je dois dire qu’incarner le jeune lacédémonien au supplice n’a pas été une sinécure. Guère de composition, le rôle s’est imposé à moi, brutalement. On a raison de dire que le ridicule ne tue pas, je le prouve depuis des lustres. En revanche, je conseillerais la prudence pour ce qui concerne le mal d’amour.
Mais aujourd’hui je suis guéri. J’ai vu l’inspiratrice monter dans une gross caisse allemande, un coupé. Le primate à gourmette qui la conduisait venait prendre la sylvidre de mes rêves éveillés pour le 5 à 7 hebdomadaire, de 12 à 14. Épris, on capte bien les bribes de conversations qui concernent l’autre et permettent de recréer sa vie. Là, pour confirmer, il m’a juste fallu trouver le courage de regarder le parking depuis la fenêtre d’une salle de réunion, à 11H30.
Guéri vraiment ? Par quel miracle ? Par celui de la décision. Hé oui, c’est déprimant, mais l’amour se décrète, sa fin aussi. Bien sûr, on peut faire durer le plaisir comme Swann et se transformer en carpette sur des centaines de pages pour plaire à une grue qui tout compte fait n’est pas son genre. Mais on peut aussi dire stop dès qu’on peut émerger et ouvrir les yeux. Stop ! Je ne ferai pas la religieuse (portugaise) [1] [2], je récupère ma vie, une vie normale, sans flashs dans la tête ni griffes dans le ventre. Une vie plus zen, moins ulcérée.
Et dans trois mois c’est Las Vegas.
[1] J’ai fait fac de lettres, voici le ROI.
[2] Et parfaitement, j’ose la note de bas de page dans un texte poétique, j’ose tout, vous m’avez reconnu ?
© plinous (commis le samedi 9 novembre 2019 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout