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Pourquoi le braisil ?

Pourquoi le Brésil ? de Christine Angot est un livre révoltant, un livre donc. On passe par tous les états en le lisant - d’une traite (se lit d’une traite), avant que finalement un avis s’impose, dans la tête.

Littérature réalité

C’est la première définition qui m’est venue : ce truc, c’est de la littérature-réalité. Une seule caméra dans le loft, ce sont les yeux de la narratrice, qui n’est autre que Angot, chef op. du soap. Celle-ci sélectionne les plans "intéressants" et assure également le commentaire en voix off. Christine est fatiguée, épuisée plutôt ; la fille de Christine part au Texas ; la mère de Christine s’occupe de l’EDF ; Marie-Christine a un front insensé... Ah ! une ex, on rentre dans le sit-com...

Un an avec elle [Marie-Christine], avec la bêtise, l’enfer, la méchanceté, le mensonge, la fausseté, la duperie, la bourgeoisie dans toute sa connerie, sa suffisance, son manque de tout, de délicatesse, elle n’a jamais rien compris.

Pensée d’Angot (p. 53 édition Stock) :

...j’accepte les processus artistiques tels qu’ils sont, j’accepte que l’art ce soit l’intime livré au danger, et j’accepte qu’il puisse être détruit, comme j’avais dit dans une rencontre publique, ça peut se reconstruire.

Là, on a envoyé les gros rires en boîte. Pourquoi ? Relisez bien, Christine a dit une très bonne blague : l’intime détruit peut se reconstruire, c’est vrai puisque je l’ai dit, dans une rencontre publique (en plus). Reste à savoir si cette vanne saura réconforter Marie-Christine, car l’intime dont il est question ici, ce n’est pas seulement celui de Christine. C’est sûr, ils peuvent aller se rhabiller à la télé, les grands moments de Koh-Lanta sont vraiment faibles à côté de ça. [1]

Littérature people

Et Christine débarque à Paris, et les stars débarquent dans le livre : Ardisson, Laetitia Masson, D’Ormesson et plein d’autres qui font évoluer la définition de l’émission : nous sommes désormais dans du people. Oui mais attention : nous restons dans la litt-réal, simplement les stars entrent dans le loft ; c’est le concept "stars piégées".

Quoique le programme n’est pas trop cruel pour elles, en général. Elles ne comprennent pas toujours tout, comme Laetitia Masson qui maîtrise mal la sémantique (emmenez-là vs emmène-moi - trop long à expliquer) mais c’est assez consensuel dans l’ensemble.

Hors mis bien sûr pour LA "guest" star : PLR. Pierre-Louis Rozynès, journaliste : exit. Pierre-Louis Rozynès, amant de Christine Angot : on tourne ! On peut dire que pour un premier rôle au cinéma, PLR, il a frappé très très fort. Putain le mec il crève l’écran ! Ce rôle de juif enfermé dans sa névrose, pas facile ! Sans compter qu’il faut être capable de bander à l’écran ; parce qu’il bande le Pierre-Louis ! et pas qu’un peu ! Il a des calculs rénaux, des coliques, tout le temps mal quelque part, mais question bite, ça, il assure.

Attention cependant : Christine ne raconte pas tout, il y a des limites. Et puis elle ne sait pas.

C’est trop difficile pour moi. Ça glisse. C’était ça. Quand j’ai dit ça, quand j’ai dit : ça glisse, j’ai l’impression d’avoir tout dit.

Ce ne sera quand même pas tout, vous pouvez acheter le livre, y a d’autres trucs... De toute façon, c’est de sa faute - j’ai lu ça quelque part, on ne peut pas vouloir garder sa vie intime et vivre avec Christine Angot.

Pour en finir avec les stars, juste une image marrante : D’Ormesson qui se met des escalopes de veau sur la tronche avant ses émissions de télé. (Oui, Christine faut pas juste éviter de la fréquenter, il ne faut pas non plus que des rumeurs lui viennent aux oreilles).

Littérature du père

Puis viennent les lettres du père. Père soucieux du travail scolaire de sa fille. Père linguiste. Père qui maîtrise parfaitement la langue, qui parle très doctement du prétérit et qui a même une opinion sur les mathématiques. Et alors là on se dit : mais c’est lui l’écrivain, c’est le père, c’est lui qui a fait le boulot, c’est lui qui a fait Angot.

Littérature de combat

Et en même temps, il y a un malaise. Parce qu’on a bien lu ou entendu des trucs sur Angot, à propos de L’inceste notamment et on commence à sentir une force derrière le babillage, derrière le déballage, une force de combattant. Et en même temps on lit, et en même temps on se marre.

146 pages sans lâcher le bouquin et Rozynès veut descendre un escalier tout seul, il ne veut pas attendre Christine, il veut lui montrer qu’il est indépendant.

...il attendait sous la pluie, je le voyais à travers les rideaux, il avait mis sa casquette rouge. Comme les fous qui ont parfois des signes distinctifs originaux.

Pété de rire ! Grosse claque, la combattante a frappé. Quand vous lisez auprès de quelqu’un et que vous éclatez de rire, ce quelqu’un ne peut que vous dire : "bah il a pas l’air si mal que ça ton bouquin". C’est vrai. D’autant que ce n’est pas du tout un rire mesquin qui vous échappe, un sarcasme, un rire sous les dents ; c’est un vrai gros rire, un rire qui fait du bien.

Christine dénoue le drame. Finalement, il ne s’agit pas d’une entreprise de casse. Et puis vient le coup de grâce, p. 179. C’est un dîner, vingt ans avant le présent de la narration. Il y a cet étudiant vétérinaire qui chie sur la psychanalyse et qui finit par dire à Christine : "si tu as besoin de ça, tu ne t’en sortiras jamais".

Je lui avais répondu : tu as déjà couché avec ta mère ? Il me dit non, pourquoi ? L’ambiance se refroidissait. Alors j’ai dit : c’est pour ça alors que tu ne comprends pas, parce que moi, oui, j’ai couché avec mon père. Quand on me dit que je parle toujours de ça, admettons, mais de quoi parlent les autres ? Qu’est-ce qu’ils disent exactement ? C’était une fondue savoyarde...

Là, elle vous pète à la gueule la littérature, ni la réalité ni la people ni celle du père, la littérature tout court. Pas seulement parce que le livre prend tout son sens, qu’on en saisit le vrai sujet, que la difficulté d’aimer, d’aimer un homme, d’aimer un homme qui s’appelle Pierre (comme le père) se révèle dans toute son ampleur, mais également parce que ce passage dramatique à tous les sens du terme est un point d’orgue qui fait apparaître la majesté de la construction.

Ce n’est plus Christine lance des pierres, c’est Chrisitine construit sa maison, à la force de ses petits bras. Et s’il restait un doute, s’il était encore permis de croire à la logorrhée sortie d’une frappe frénétique sur un portable, voici deux passages qui se font écho pour former un contraste particulièrement signifiant.

Page 128 après la dernière lettre du père, Christine reprend la parole et cite Breton :

Dans L’Amour fou, Breton dit qu’on désespère stupidement de l’amour, qu’il en a désespéré, qu’on vit asservi à cette idée que l’amour est toujours derrière nous, jamais devant nous.

À l’avant dernière page, un des joyeux convives d’un dîner de vedettes où fusent les vannes sort celle-ci : C’est qui André Breton ? C’est quoi mon texte... Je dis quoi là... En revanche je parle breton si tu veux. C’est qui Angot ? C’est pas le clown de service en tous les cas, c’est un grand écrivain. Convaincu par K.O.

[1Ceci a été écrit avant que Koh Lanta ne tue.

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