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Du symbole à la métaphore

Deux trois notes en manière de teaser sur le passionnant article de Philippe Dufour, Du symbole à la métaphore : Max Müller, Michel Bréal et Edward B. Tylor in Voir, croire, savoir : Les épistémologies de la création chez Gustave Flaubert ; de Gruyter, 2015.

Dans le second tiers du XIXe siècle s’accomplit une grande mutation à l’intérieur du savoir philologique [...] La grammaire comparée débouche sur la mythologie comparée. [...] Aux spéculation néo-platoniciennes de Creuzer, Max Müller et Michel Bréal entendent opposer le positif des étymologies. De l’école symbolique, Bréal dit brutalement "qu’elle appartient à l’histoire". D’aucuns protestent cependant contre la prétention hégémonique de l’école philologique , comme Louis Ménard : "Les mots ne sont que les signes des idées ; c’est ce qu’oublient un peu trop les philologues qui voudraient remplacer l’étude des symboles par la comparaison des mots".

La plupart des racines aryennes, commente Max Müller, expriment des actions, et partant, les noms donnés aux grands phénomènes, aux grandes activités de la nature, ne pouvaient être que des noms d’agents. [...] Sous l’effet de l’altération phonétique, des variantes dialectales, [les étymons deviennent moins repérables]. Le mot cesse de parler : Dans Dyaus, on n’entend plus la racine verbale (celui qui brille), encore moins dans son équivalent grec Zeus ou dans son équivalent latin Jupiter (Dyaus pitâr, le père qui brille). Voilà les forces de la nature devenues des dieux personnels. Les dieux sont des métaphores oubliées.

Parcourir les hymnes védiques, c’est assister au travail de mythologisation : Indra paraît comme un guerrier sur son char, armé de sa massue, prêt à fondre sur ses ennemis : un peu plus loin il est le ciel qui brille sur nos têtes. [...] Tout se passe comme si le poète indien hésitait entre le merveilleux et le littéral, de sorte que la métaphore reste in praesentia. Le masque des dieux ne cesse de tomber.

Toutes les mythologies indo-européennes s’en trouvent éclairées. Il suffit de repasser par le sanskrit des Védas pour retrouver l’étymon commun qui a donné vie aux dieux grecs et latin. [...] Les dieux sont ainsi morts nés, ils sont des erreurs de langage [...] ; des noms sans être et non des êtres sans nom.

Seulement, au gré des migrations et des amplifications, le sens des mythes naturalistes s’étant perdu, on éprouve le besoin de faire parler autrement ces histoires apparemment absurdes. Le mythe entre dès lors dans l’âge symbolique. La métaphore devient symbole. C’est la différence avec l’école de Creuzer : le symbole n’est pas premier, il est une création a posteriori.

L’école philologique va rapidement essuyer les feux de la critique. Son pouvoir d’explication est remis en cause par de nouveaux savoirs. Ainsi, l’archéologie préhistorique bouleverse les notions de chronologie et relativise la valeur des Védas. [...] Si les plus anciens hymnes védiques sont datables du XVe siècle AVCJ, la présence de l’homme, elle, est attestée depuis le quaternaire. [...] Le discours des origines est renvoyé à l’origine de l’origine. De plus, à l’intérieur même de la linguistique, la science étymologique doit reconnaître qu’elle est minée d’incertitudes. [...] Vendryes décrète : "l’idée que par la comparaison des langues existantes on aboutirait à la reconstitution d’un idiome primitif est chimérique".

Surtout, l’émergence de l’école ethnologique précipite le déclin de l’école philologique. Dans le dernier siècle, se constitue en effet l’ethnologie comparée, avec Edward Burnett Tylor. [...] L’école ethnologique oppose [à l’école philologique] de troublantes ressemblances entre les mythes de sociétés primitives appartenant aux cinq continents, lesquelles n’avaient pu communiquer entre elles. [...] l’animisme devient la clé de lecture des mythes naturalistes premiers. L’explication, dès lors, n’est plus linguistique, mais psychologique.

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