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Secrets dans la famille H.

Tintin et le secret d’Hergé de Serge Tisseron dévoile en fait deux secrets : un fait du roman familial de l’auteur des Aventures de Tintin (premier secret), lequel n’aurait guère d’intérêt s’il ne trouvait un écho dans l’œuvre à travers une généalogie aussi illustre que dissimulée du capitaine Haddock (deuxième secret).

La fin du Trésor de Rackham le Rouge nous a donc appris que le château de Moulinsart a été offert au chevalier de Hadoque par le roi Louis XIV. Nous avons découvert du même coup que ce somptueux cadeau a été fait au chevalier avant son affrontement avec le pirate puisque le parchemin de la donation se trouvait à bord de La Licorne au moment où le vaisseau a été coulé. Mais alors, comment expliquer que le chevalier, si généreusement pourvu par le roi Louis XIV, ne lui ait pas remis à son retour le trésor qu’il avait dérobé à Rackham ? [1]

Ça c’est de la bonne, n’est-ce pas, en matière de question. Mais Serge Tisseron ne se contente pas de poser des questions, il apporte aussi des réponses :

Sans aucun doute possible, et même si cela lui échappa, le chevalier de Hadoque est posé par le travail de Hergé comme un fils bâtard et non reconnu de Louis XIV [2]

Le plus génial, dans cette révélation, c’est qu’elle émane uniquement de l’observation minutieuse de l’œuvre. Pourtant, Serge Tisseron est un psychanalyste ; on pourrait s’attendre de sa part à une lecture de l’œuvre d’Hergé guidé par une trame freudienne, comme le fait excellemment Apostolidès dans ses Métamorphoses de Tintin [3]. Mais non, la lecture de Tisseron est une lecture maniaque, investigatrice, qui cherche les détails textuels - voir par exemple l’excellent "ou-pa-pa-é" de Philémon Siclone dans les Cigares du Pharaons [4] - mais également graphiques comme ce sublime poisson couronné du blason figurant sur le fronton de l’entrée de Moulinsart.

Blason Hadoque Moulinsart
Blason Hadoque Moulinsart

Un poisson couronné sur le blason du chevalier de Hadoque (haddock), c’est génial ! Ce petit détail n’apparaît qu’une fois dans les Aventures de Tintin, dans un album, Les sept boules de cristal, qui précède Le Temple du soleil... L’ombre du monarque absolu est indubitablement présente dans l’œuvre d’Hergé.

Cela, Tisseron le montre sans avoir recours aux trucs de sa caste, simplement en examinant les albums d’Hergé à la loupe. Cependant, chassez le psy, il revient au galop. Une fois démontrée la présence d’un secret familial dans l’œuvre, il s’agit de trouver dans l’histoire personnelle de l’auteur son pendant biographique.

Or, justement... Le père et l’oncle d’Hergé, les deux jumeaux qui donneront les Dupondt dans l’œuvre, ont eu pour géniteur "un homme qui passait par là..." (dixit Hergé). La grand-mère paternelle du créateur de Tintin était femme de chambre chez une comtesse, laquelle a toujours pris grand soin des jumeaux après leur naissance, achetant notamment pour eux de beaux vêtements, lesquels devaient attirer l’attention sur les deux enfants, voire les désigner comme bâtards, exactement comme les tenues folkloriques des Dupondt attirent sur eux le ridicule [5]. La comtesse de Dudzeele aurait-elle particulièrement bien traité les enfants de sa femme de chambre pour acheter le silence de celle-ci... Cette question ou ses diverses variantes, a forcément marqué Hergé ; le silence coupable de la famille [6] en a fait une obsession, laquelle s’est transfigurée en œuvre, pour le plus grand plaisir de millions de lecteurs.

La démonstration de Serge Tisseron, un poil péremptoire dans le ton quelquefois (personne n’est parfait), est excellente. elle rend doublement hommage au travail d’Hergé : explicitement, d’abord, en démontrant une fois de plus l’extrême sophistication de l’œuvre, implicitement ensuite puisque une fois le (un) secret éventé, on peut entendre distinctement l’appel de ses albums Tintin dans la bibliothèque : "Allez, viens nous relire !" Preuve que l’œuvre d’Hergé est absolument inépuisable.

[1Tintin et le secret d’Hergé/Serge Tisseron. - éditions Hors Collection, 2007 ; p. 33

[2op. cit. p. 34

[3Dans cet essai, Jean-Marie Apostolidès applique à l’œuvre d’Hergé la trame dessinée par Freud dans Le roman familial des névrosés (1908). Marthe Robert avait fait la même chose pour Flaubert deux ans auparavant dans En Haine du roman.

[4"Où est papa ?" demande déjà, Philémon Siclone, précurseur de Tournesol, celui-qui n’entend pas (le secret familial). Op. cit. p.72

[5cf. p. 62

[6Le père d’Hergé le paie en devenant un Dupondt.

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