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Nerval le ténébreux

Georges Le Breton, auteur de Nerval poète alchimique [1] l’affirme : la source des Chimères comme des Mémorables d’Aurélia se trouve dans deux oeuvres de Dom Pernety, Les Fables égyptiennes et grecques et le Dictionnaire mytho-hermétique.

“Dans les Chimères, tout est par alchimie et par tarots” affirme Le Breton. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie pour cet auteur que les sonnets des Chimères, à l’exception de Delfica antérieur de dix ans aux cinq autres, ont une signification hermétique. Non seulement ces sonnets empruntent aux symboliques de l’alchime et du tarot qui sont liées [2], mais surtout leurs discours sont organisés et présentent une énigme.

Pour illustrer son propos, Le Breton présente un commentaire d’El Desdichado. Il indique d’abord que les quatre premiers vers renvoient aux arcanes XV, XVI, XVII et XVIII du jeu de tarot puis donne la signification alchimique de chaque vers avant d’éclairer le sens des quatre groupes de vers, quatrains et tercets, et finalement du sonnet entier. Selon lui, et son argumentation est assez convaincante, le poème reproduit la transmutation de la matière qui passe du noir au blanc puis du blanc au rouge dans l’œuvre alchimique. Le sonnet évolue effectivement des ténèbres du premier quatrain à la fleur du second, le narcisse (blanc), fleur associée à Proserpine - “toi qui m’a consolé” - enlevée par Pluton le dieu des enfers. La rose, fleur blanche teintée par le sang de Vénus, assure la transition avec le premier tercet marqué par le rouge. Quant au dernier tercet, il consiste en un chant de victoire du philosophe (alchimiste) parvenu à ses fins.

Ce décryptage mystique est en soi intéressant. Mais Le Breton fait davantage que donner des clefs de textes ésotériques, il présente une définition de la poétique nervalienne. Pour lui, celle-ci est avant tout une poétique de la métamorphose, du mouvement. Ce qui aurait fasciné Nerval dans l’alchimie matérielle (la transmutation), ce sont les multiples transformations de la matière divinisée, transformations que l’on retrouve dans la sphère de l’imaginaire (rêve, inspiration poétique...). Mais alors que les surréalistes tenteront de faire parler l’inconscient grâce, entre autres, à l’écriture automatique, Nerval lui se veut aussi méticuleux, savant et secret qu’un alchimiste ; il puise ses sources dans Pernety et l’écriture de ses vers ou la transcription de ses “rêves” ne doit rien au hasard mais est au contraire tout ce qu’il y a de plus dirigée.

Pour le Breton, la poésie de Nerval est inspirée par la métamorphose et relève elle-même essentiellement du mouvement. Hélas, ce mouvement semble au final tenir de la descente, de l’enfoncement, de l’enterrement. Au premier vers d’El Desdichado, premier sonnet des Chimères et sonnet "lumineux" qui relate un "exploit", répond le dernier sonnet d’Artémis qui marque un retour choisi vers l’abîme. [3] Dans Aurélia, Nerval brouille les pistes en présentant les Mémorables comme "un épanchement du songe dans la réalité". Les Mémorables constituent un "crypto-discours" parfaitement organisé et qui proclame une victoire d’alchimiste ou de poète, selon que l’on considère Nerval comme un illuminé ou comme un Orphée mélancolique. Aurélia devait être pour le docteur Blanche qui soignait Nerval comme un gage de guérison ; il s’agit à nouveau d’une proclamation de soumission aux forces obscures. Nerval aura donc consacré les ténèbres dans son œuvre, mais avant de s’y abandonner définitivement en se suicidant, il aura eu à cœur de rechercher, comme les alchimistes, le mouvement parfait qui conduit à la beauté, et l’aura trouvé.

[1Nerval poète alchimique, La clef des Chimères : Le dictionnaire mytho-hermétique de Dom Pernety/Georges le Breton ; éditions curandera 1982.

[2Voir notamment Hervé Delboy, Le tarot alchimique, très complet sur le sujet.

[3Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé (El Desdichado).
La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux (Artémis).

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