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Pour les étudiants qui cherchent une première biographie efficace et moderne, passer directement aux numéros suivants. Cette vieillerie de Thibaudet n’intéresse que les flaubertiens. Depuis 1922, la connaissance de Gustave a beaucoup progressé, et l’approche de Thibaudet n’est point trop "scientifique" et ressortit davantage à celle d’un homme de lettres old school.
Néanmoins, Thibaudet est peut-être le premier critique à avoir compris et exprimé ce qui fonde l’originalité, la modernité et la beauté de l’œuvre de Flaubert. Ses successeurs sont en dette.
Aussi Madame Bovary s’est-elle imposée davantage au public [1], qui demande à un roman de lui donner l’illusion de la réalité, et non de lui laisser entendre que la réalité est une illusion. [2]
On ne sera bien capable d’évincer les gens en place que si l’on s’est montré d’abord habile à leur prendre leurs femmes, et l’adultère [...] tient à notre rythme social comme le rapt par force au temps des Sabines... [3]
Quelques mois après l’Éducation éclatent la guerre et la Commune, et, quand les insurgés sont vaincus, Flaubert ne le cède pas, en fait de clameurs vengeresses, à Fumichon et au père Roques. [4]
... la vie pour Victor Hugo correspond dans son ensemble à une réalité qui se fait, et pour Flaubert à une réalité qui se défait : rien d’étonnant (surtout pour un bergsonien !) à ce qu’il en trouve l’achèvement dans la matière. [5]
P. 248, à propos du style indirect libre, généralisé par Flaubert, Thibaudet cite La Fontaine :
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !
et ajoute que contrairement à ce qu’il avait cru avant de vérifier, hormis chez La Fontaine, cette forme est absente chez les classiques.
Gustave Flaubert /Albert Thibaudet. - Gallimard, 1935.
Genèse de Madame Bovary
C’est l’ami Maxime [Du Camp] toujours dans ses diaboliques Souvenirs Littéraires, en 1882, qui révèle la source Delamare. Il l’enrichit au passage de plusieurs composantes empruntées à Madame Bovary (les adultères, la saisie, le suicide) tout à fait absents de l’histoire réelle que Flaubert avait pu utiliser comme point de départ. Cette astuce lui permettait d’étoffer son propos et d’enjoliver l’anecdote avec la conséquence désastreuse de lancer durablement l’investigation critique sur de fausses pistes. [6]
Quant au nom d’Emma Bovary, les manuscrits prouvent que Flaubert l’a mis au point vers la fin de juillet 1851, quelques semaines seulement avant de passer à la rédaction. D’après ce qu’en dit l’auteur lui-même, Bovary viendrait de la déformation de Bouvaret, nom d’un des directeurs de l’Hôtel du Nil où il avait séjourné au Caire en juin 1850 [...] cette source Bouvaret semble confirmée par les scénarios où l’on trouve la forme intermédiaire Bouvary [...] tout porte à penser que dans la déformation Bouvaret - Bouvary - Bovary, le passage de Bouvary à Bovary se soit opéré sous l’attraction d’un autre patronyme celui de Bovery, nom d’une demoiselle mêlée à l’affaire Loursel quui avait défrayé la chronique normande en 1844. [7].
... et voilà pourquoi, quoique peintre, le dénommé Vaufrylard [8] dont la bonne humeur blagueuse paraît complètement déplacée en la circonstance, ne se manifeste finalement qu’à travers des calembours, c’est-à-dire des jeux de mots littéralement non transposables en images.
L’Éducation sentimentale
Flaubert rejoint Cervantès, et L’Éducation sentimentale joue à l’égard de la tradition romanesque des XVIIIè et XIXè siècles, sensiblement le même rôle que le Don Quichotte en son temps avait joué vis-à-vis du roman de chevalerie. [9]
Extrait du Nil de Du Camp : "En haut des degrés, Koutchouk-Hânem m’attendait. Je la vis en levant la tête ; ce fut comme une apparition." Cette réminiscence qui refait surface avec le surgissement de Mme Arnoux est particulièrement signifiante si on prend en considération la fin de L’Éducation [...] Dès la jeunesse de Frédéric, le projet de l’amour est lié à la prostitution. [...] la possibilité que [Marie Arnoux] puisse être une prostituée est déjà présente dans les scénarios primitifs du roman [10]
Une manière spéciale de vivre /Pierre-Marc de Biasi. - Grasset 2009. [11]
Où Bernard Fauconnier et Gallimard prouvent qu’on peut écrire et publier une biographie qui n’apporte rien quand à la connaissance du cas Flaubert et qui ne fait pas non plus progresser la forme biographique. Ce qui n’enlève rien au plaisir que l’on prend à la lecture de cette courte bio très bien écrite. À conseiller spécialement aux néophytes.
Louise Colet
Née Louise Revoil, cette Aixoise, fille de postier, a épousé en 1835 un flûtiste, Hippolyte Colet, professeur au conservatoire, qu’elle n’a pas tardé à cocufier d’importance. [12].
libéral
Rappelons que le mot libéral, au XIXè siècle, est à prendre dans sons sens originel de défense de toutes les libertés, et non dans l’acception détournée d’aujourd’hui qui évoque plus la liberté du renard dans le poulailler. [13].
Flaubert /Bernard Fauconnier. - Gallimard 2012, coll. Folio. [14]
Personnages : pas simples caricatures
Même Rodolphe, don juan de sous-préfecture, peut avoir des fulgurances, pressé qu’il est, c’est vrai, par son désir de séduire : "Eh ! parbleu, le devoir, c’est de sentir ce qui est grand, de chérir ce qui est beau, et non d’accepter toutes les conventions de la société, avec les ignominies qu’elle nous impose." [15]
Trois contes
Il est intéressant de remarquer que la nouvelle œuvre de M. Gustave Flaubert résume admirablement ses inspirations diverses, et les rappelle à la mémoire de ses lecteurs. Ainsi Un cœur simple, par le milieu bourgeois, le paysage normand, la franchise d’une langue qui prête une grande poésie aux détails les plus vulgaires, donne une vague idée de Mme Bovary ; la Légende de saint Julien l’Hospitalier, mélangée de merveilleux et de mysticisme, voilée par endroits de reflets de vitrail et de poussière de solitudes, semble détachée de la Tentation de saint Antoine, tandis qu’Hérodias procure à tous les lettrés cette émotion purement artistique, cette admiration pour un talent qui n’a pris de la science que ses ressources pittoresques, ressentie jadis à la lecture de Salammbô. Julia Daudet, Journal officiel du 12 juin 1877.
Malade
Salammbô, La Tentation manifesteront plus tard comme des tumeurs énormes cette maladie d’une mystique sans objet." [16] François Mauriac, Mémoires intérieurs, dans Œuvres autobiographiques, Pléiade, p.442. "On pourrait prendre quarante lettres de charcutiers réclamant leurs factures. On en trouverait dix dont les auteurs ont le sens du français pour trente qui ne l’ont pas. Flaubert appartenait à cette dernière catégorie et ce tourment d’un sourd cherchant à réaliser une note qu’il ne parvient pas à entendre est l’un des martyres les plus émouvants de l’histoire des lettres. [...] Ses succès isolés ne sauraient faire oublier la morne pauvreté, le ton zingue de l’ensemble. Mon Dieu, comme il devait pleuvoir à Rouen." in Claudel, Positions et Propositions, Gallimard, pp 79-80.
Flaubert /Michel Winock. - Gallimard 2013.
Je signale ici cette fantaisie biographique - qui n’est pas une biographie fantaisiste - uniquement parce que je me suis farci le pensum et que cet exploit mérite bien trois lignes. Donc, après avoir lu une ou deux biographies citées plus haut - c’est-à-dire une fois que vous maitrisez les gros traits de la vie de Gustave, et si vous êtes fan de pédantisme et de style contourné, vous pouvez tenter ce Dernier bain de Gustave Flaubert. Attention, grand bain, noyade possible.
Le dernier bain de Gustave Flaubert /Régis Jauffret. - Seuil 2021.
[1] que l’Éducation sentimentale.
[2] p.156
[3] p.164
[4] p.173
[5] p.187
[6] p.148
[7] p.149
[8] Vaufrylard est l’"artiste peintre" qui accompagne Charles et Homais lors d’un voyage à Rouen , pour voir des tombeaux à la fin de Madame Bovary. Or Feydeau raconte dans son Théophile Gautier que Flaubert était appelé le "sire de Vaufrylard" dans les salons de Mme Sabatier. D’où l’idée de voir dans ce Vaufrylard une apparition hitchcockienne de l’auteur dans son œuvre.
[9] p.285, inspiré par La Théorie du roman de Lukács.
[10] Cf. Gesine Hindemith : Liconicité : une stratégie textuelle dans L’Éducation sentimentale, in De Biasi et al. Voir, croire, savoir : Les épistémologies de la création chez Gustave Flaubert ; de Gruyter, 2015.
[11] Une biographie spéciale si l’on veut, parce que s’appuyant essentiellement sur les matériaux de la correspondance et des carnets de Flaubert, mais une biographie nonobstant.
[12] p.67
[13] p.123
[14] On notera que Bernard Fauconnier a visiblement un message à faire passer à cette glorieuse maison qu’est Gallimard. Il commente ainsi les 10 000 € reçus pas Flaubert pour Madame Bovary : "c’est peu cher payé pour un livre qui lui demandé presque cinq ans d’efforts, mais la modestie de la somme ne peut surprendre que ceux qui n’ont jamais publié" (p.121). Retour de charge p. 130 : "On connait des écrivains indigents ; les éditeurs pauvres sont beaucoup plus rares".
[15] P. 181. Ainsi dès Mme Bovary les personnages ne se limitent pas à leur caricature mais peuvent aller jusqu’à livrer des opinions flaubertiennes. Pellerin, dans L’Éducation sentimentale, est l’archétype du personnage qu’on ne peut limiter à sa caricature, ses conceptions sur l’art rejoignant parfois celles de Flaubert.
[16] L’idée que la lenteur d’écriture de Flaubert soit pathologique a été lancée par Maxime du Camp qui évoque l’épilepsie de Gustave dans ses Souvenirs littéraires.
© plinous (commis le lundi 7 juin 2010 et déjà lu fois !) | contact | ? | tout