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Amors de Marie

Un an avant sa mort (1585), Ronsard a rassemblé un certain nombre de pièces qu’il a dédiées à Marie. Ces pièces furent composées à différentes époques et n’étaient pas toutes adressées à la même personne. Néanmoins, de cette disparité, Ronsard a tiré un ensemble cohérent, dans lequel il est possible de repérer un mouvement, presque une trame romanesque.

Dans le texte des Amours de 1584, la section consacrée à Marie porte le titre : Le second livre des amours. Elle est elle-même divisée en deux parties ; la première, intitulée Amours de Marie, comprend des œuvres composées entre 1553 et 1569, la seconde, qui porte le sous-titre Sur la mort de Marie, n’est constituée que de poèmes de 1578. Cet ajout de poèmes, dans l’édition de 1578, a changé la physionomie du recueil en donnant au Second livre des amours une dimension "fatale".

Le vert gaillard

« J’ai oublié l’art de pétrarquiser,/Je veux d’amour franchement deviser... » écrit Du Bellay en 1553 dans sa satire Contre les Pétrarquistes. Du Bellay est déjà revenu d’un style inspiré par le Canzoniere de Pétrarque - et des imitateurs de celui-ci - qui avait submergé la poésie française à la suite de l’Olive du même Du Bellay. Les Amours de Ronsard (1552) S’inscrivaient dans le courant pétrarquiste mais la Continuation des Amours (1555), où apparaît pour la première fois Marie, continue un mouvement de réaction littéraire déjà amorcé dans les Fôlatries (1553) et le Bocage (1554).

Dans l’Elégie à son livre, Ronsard affirme avec force qu’il est raisonnable d’abandonner et le pétrarquisme et Cassandre : « Ou bien [Pétrarque] jouissait de sa laurette, ou bien/Il était un grand fat d’aimer sans avoir rien », et il prévient : il quittera tout soudain Marie « si elle [lui était] comme fut Cassandre, orgueilleuse et rebelle ». Le ton est donné ! Cette affirmation d’un moi qu’une femme n’opprimera plus se retrouve dans la mise sur le même plan de Marie et de Cassandre aux sonnets XII et XX. Le poète n’est pas celui « qui veut Pâris reprendre/D’avoir manqué si tôt à Pegasis de foi ».

La parole dorée

Mais cette arrogante misogynie n’est qu’une forfanterie qui s’éteint vite. Ce ton guerrier ne domine pas, loin de là, Les amours de Marie. Du reste, il y aurait quelque chose de contradictoire, voire de ridicule, à répéter à l’envi qu’il n’est plus temps de palabrer. Dans le Voyage de Tours, la topique de la rose qui se fanera est reprise pour lancer un appel : « Quitte-moi ton Anjou, et viens en Vendômois » qui montre un poète qui ne désire plus uniquement « jouir de sa Marie » mais qui souhaite sincèrement partager une vie calme et sereine avec la jeune fille dont la vertu est chantée au sonnet XXXV : « Et toutefois vous ne m’êtes sévère,/Sinon au point que l’honneur vous défend. » Dans la chanson qui suit le sonnet XXII, c’est la bonté de Marie qui se desine en creux : « Alors, Belle, tu me baisas/Et doucement désattisas/Mon feu d’un gracieux visage ». Le poète est sensuel, mais son objet reste l’amour, pas la sensualité.

On ne peut rien faire contre les conventions d’un monde qui veulent qu’un clair tonsuré ne soit pas un avenir pour une jeune fille. La lucidité mélancolique exprimée dans le Voyage de Tours aboutit à la résignation dans l’Elégie à Marie. Le poète est bon perdant : « Je veux en vous chantant vos louanges parfaire ». Le poète a compris que Marie ne le rejoindra pas mais il ne lui en veut pas, bien au contraire. « En vain pour vous ce bouquet je compose,/En vain pour vous, ma déesse, il est fait » (sonnet LXVIII). Ce n’est pas Marie la fautive, c’est l’amour qui est

Peindre en l’eau, et [...] vouloir encore
Prendre le vent et dénoircir un More.

L’homme en noir

Les amours de Marie n’abordent jamais la question de la mort de celle-ci (si l’on fait abstraction des songes ou réflexions prospectives). En revanche, la mort du poète constitue un des leitmotive du recueil. On la trouve dans les épitaphes du premier madrigal et du sonnet XV. Elle est repoussée au sonnet suivant : « Vivons, mon cœur, vivons sans désirer la mort ! » La mort est tantôt l’ultime recours après avoir tout essayé auprès de la bien-aimée : « ... et plus je ne sens vivre/L’espérance en mon cœur, mais le seul désespoir/Qui me guide à la mort » (LII), tantôt elle est perçu comme un moindre mal : « Je mourrai bien heureux s’il te souvient de moi ». La mort peut être aussi le fruit du plaisir : « Heureux sera le jour où je mourrai d’amour » ou encore : « Entre vos doux baisers puissé-je prendre fin » (XL). Le poète peut encore évoquer sa mort pour menacer Marie, prouver sa détermination ou dénoncer le mépris extrême de Marie qui se moque du « tombeau, du mort et de sa foi » (LIII). Mais ce n’est pourtant pas lui que la mort va prendre, mais Marie. Et cela ne peut que bouleverser le sens de l’oeuvre.

Avec l’adjonction des poèmes sur la mort de Marie, l’échec ne pèse plus sur le poète qui n’a pu convaincre Marie de le suivre, mais sur Amour dont « la force n’est pas grande » face à la mort qui jouit à présent des beaux yeux de Marie. Dans le vers qui conclut le Second Livre, le poète dit avoir été déçu par trois amis : « Marie, l’amour et le monde ». Or, avouer que l’on a été trompé par l’amour lorsque sa belle n’est plus, n’est-ce pas dire qu’avec Marie s’est éteint l’amour qu’on lui portait ? En effet, Si en cette fin des Amours de Marie le poète semble porter le deuil, c’est plus celui de l’amour que celui de Marie.

<quote L’amour n’est rien qu’ardente frénésie,
Qui de fumée emplit la fantaisie
D’erreur, de vent et d’un songe importun,
Car le songer et l’amour, ce n’est qu’un.
(Chant des Serènes).


Dans le second livre des Amours, l’amour est d’abord célébré avec un certain mordant avant de se voir affubler de couleurs plus sombres : Un désespoir où toujours on espère, un espérer où l’on se désespère (Chanson à Olivier de Magny). Finalement, la vanité de l’amour est dénoncée et la force de la mort célébrée. Si les Amours de Marie étaient un récit, ils pourraient se résumer ainsi : un poète, lassé de s’époumoner pour une dame inaccessible (Cassandre) en un style élevé, décide de se tourner vers un objet plus simple sans s’embarrasser de promesses de constance. Petit à petit néanmoins, il s’éprend de la jeune paysanne qui le rejette. Le poète finit par se résigner, sans cesser pour autant de louer sa belle. Puis survient la mort de celle-ci qui conforte le poète dans l’idée que l’amour n’est que « songer », et que la seule force véritable en cette vie, c’est la mort. Cette lecture, sans doute abusive quoique permise par l’organisation du recueil, laisse apercevoir au fil des sonnets et chansons, comme le « roman d’aimer » d’un poète vieillissant.

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